One giant leap for mankind

par Daniel Poza Lazaro
 

 


Prologue

4 octobre 1957…

La scène se déroule à Washington. Intérieur jour - dans les couloirs d’un bâtiment administratif.

Un homme court à grandes enjambées.

À chacune de ses foulées, ses pas résonnent sur le froid dallage marmoréen. Sur le sol, mètre après mètre, la lumière du jour projette et déforme l’ombre rectangulaire des grandes fenêtres aux vitres ouvragées. On le suit de près, de très près même ; on ne le voit que de dos, cadré à hauteur de jambe, pour mieux rendre compte de sa précipitation sans doute.

Au terme du corridor, on devine une porte massive ; l’homme l’ouvre brusquement sans prendre la peine de frapper.

« It’s called Sputnik ! » lance-t-il avec véhémence en entrant dans un vaste bureau plongé dans la pénombre.

Là, dans cette pièce enfumée par les volutes des cigares, un parterre d’une dizaine d’hommes attablés, aréopage imposant de civils encravatés et de militaires bardés de décoration, reçoit la nouvelle sans manifester le moindre signe d’étonnement.

Nullement impressionné, déjà dans la confidence, et guère satisfait d’être ainsi dérangé, le cénacle invite sans ménagement le trouble-fête à prendre place au fond de la salle, debout, à proximité d’un tabouret sur lequel trône un projecteur.

Autour de la table ovale, interrompue par l’entrée fracassante du messager, la discussion reprend ses droits ; un homme, un sénateur sudiste, portant lunettes et costume tient au reste de l’assemblée un discours volontariste et martial. De même que les Romains se constituèrent un empire par la qualité de leurs routes, de même que les Anglais dominèrent les flots par la puissance de leurs bateaux, de même «ceux qui contrôleront les hautes sphères de l’espace contrôleront le monde…» Dès lors, est-il tolérable que les Communistes s’y soient installés les premiers, eux qui s’apprêtent à construire des plateformes pour y larguer leurs bombes ?!

Derrière lui, en arrière plan, muet et attentif, le président Eisenhower semble boire ses paroles et souscrire à chacun de ses propos.

Laissant éclater toute sa colère, le sénateur achève sa diatribe en se demandant comment diable les Soviétiques s’y sont pris pour devancer ainsi les Etats-Unis…

Le film qu’on s’apprête à projeter apportera peut-être des éléments de réponse… si l’appareil daigne démarrer ; mais la prise a dû être débranchée par mégarde et les convives se penchent autour de la table pour chercher l’origine de la panne, un conseiller se prosterne à quatre pattes aux pieds du président pour réparer l’oubli.

Le spectacle peut commencer... S’en suit un court montage de séquences « ultra secrètes » tournées sur la base de lancement de l’ennemi soviétique ; on y voit apparaître le crâne lisse et le visage pâle de l’ingénieur Korolev, le maître d’œuvre du programme russe, ainsi que les deux jeunes pilotes pressentis pour le premier vol habité, un dénommé Titov à droite et un certain Youri Gagarine à gauche, à moins que ça ne soit le contraire, les deux hommes se ressemblant beaucoup… Le visage hilare de Korolev décuple l’exaspération du sénateur qui rechigne à s’endormir « sous une lune communiste ».

Un nouvel intervenant prend alors la parole ; c’est un ingénieur à l’accent germanique dont la prononciation de l’anglais laisse fortement à désirer, il expose à l’auditoire -tant bien que mal- les possibilités d’une riposte rapide : lancer à partir d’une fusée une capsule commandée depuis la Terre en plaçant à l’intérieur un individu capable de répercuter les ordres donnés… Un individu docile de préférence… Un individu robuste également... Un singe par exemple… On sursaute à l’annonce simiesque, les fronts se plissent, le refus présidentiel est catégorique : non monsieur, le premier américain à voyager dans l’espace ne sera pas un chimpanzé !

Alors qui ?

La question posée, la projection redémarre de plus belle et propose à l’assistance circonspecte un certain nombre de candidats susceptibles de faire l’affaire : surfeurs se jouant des vagues, pilotes de course habitués aux crashes, acrobates ne craignant pas le vertige, cascadeurs et autres « hommes-canon »… Nullement convaincu, le président Eisenhower penche quant à lui pour des pilotes d’essai. On tente de l’en dissuader : vous n’y pensez pas ! Ces gens-là sont de fortes têtes impulsives et pour tout dire incontrôlables ; mais le chef de la Maison Blanche n’en démord pas, il persiste et signe : des pilotes d’essai et personne d’autre !

Drôle, décalée, désinvolte et ne craignant pas de tourner en ridicule la classe dirigeante étasunienne, cette scène aux limites du burlesque est extraite d’un long-métrage américain des années 80 : « L’Etoffe des héros » (1) de Philip Kaufman.

Même s’il est fort improbable que les choses se soient déroulées de la sorte dans les arcanes de la Maison Blanche, le passage n’en demeure pas moins révélateur et nous permet de prendre en considération deux éléments clés pour la bonne compréhension de l’aventure spatiale : l’onde de choc ressentie aux Etats-Unis à l’annonce de l’envoi par les Soviétiques du premier satellite artificiel, l’importance du contexte historique, celui de Guerre Froide, comme facteur déterminant dans l’accélération de la conquête spatiale.

I - Guerre froide/lune chaude…

Bref retour en arrière, dix peine à peine, pour rendre compte de l’étendue de la compétition…

Alliés de circonstance contre l’ennemi nazi durant la seconde guerre mondiale, et devenus dès la fin du conflit les deux principales puissances de la planète, les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Soviétique vont très rapidement s’affronter comme représentants et défenseurs de deux modèles de société radicalement distincts : modèle capitaliste et libéral promouvant la propriété privée, l’esprit d’initiative et le pluralisme politique d’une part, modèle communiste fondé sur l’étatisation des structures économiques et la domination d’un parti unique d’autre part.

Bien vite, dès 1946 et le passage des pays d’Europe centrale sous la tutelle soviètique (le fameux Rideau de fer évoqué par Churchill lors de son discours de Galton), les marques tangibles de désaccord se font jour.

La coupure officielle intervient l’année suivante après que le président Truman ait, lors d’une allocution devant le Congrès, proposé l’aide de son pays à l’adresse de tous ceux qui s’opposeraient à l’expansion communiste dans le monde (politique d’endiguement ou containment) ; la réponse soviétique ne se fait pas attendre, et par l’intermédiaire de Jdanov, l’un des principaux ministres de Staline, l’URSS propose ses services aux pays et mouvements refusant de se laisser asservir par le camp impérialiste. Entre temps, les « démocraties populaires » ont rejeté en bloc la proposition américaine d’aide à la reconstruction économique, plus connue sous le nom de Plan Marshall : la rupture est consommée.

Débutent alors quatre décennies de compétition tout azimut, connues sous le nom de Guerre froide. Froide dans la mesure où les soldats américains et soviétiques ne s’affronteront jamais directement, guerre en ce sens où les domaines de concurrence les plus variés seront utilisés pour affaiblir la partie adverse.

Chaque adversaire, désireux de montrer sa supériorité, se lance de facto dans la constitution d’un bloc solide.

Exacerbée, la concurrence est multiforme.

L’opposition est politico-diplomatique : les deux « supergrands » passent des alliances avec le plus de pays possibles (OTAN contre Pacte de Varsovie). Elle est aussi économique (OECE contre CAEM) et militaire (la course aux armements permet aux Etats-Unis de posséder la bombe H en 1952, les Soviétiques la détenant peu de temps après -au prix d’un remarquable travail de ses services de renseignement).

Plus anecdotique mais non moins significative, la concurrence s’est également exercée dans le domaine culturel -l’URSS n’aura de cesse de décrier les modèles « décadents » de la culture « yankee » (films, musiques, mode de vie, etc.)- et parfois même sportif (championnat du monde d’échecs entre Fisher et Spassky en terrain neutre à Helsinki en 1972, boycott des Jeux Olympiques de Moscou de 1980 en réponse à l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques, et contre-boycott des Jeux de Los Angeles quatre ans plus tard).

Dans ce contexte de pression permanente et obsessionnelle, la concurrence ne pouvait pas ne pas être scientifique… Quel plus beau terrain de jeu, en effet, pour de tels rivaux que l’espace et la lune ? Et quelle plus belle preuve de suprématie ?

Question de prestige, ressorts patriotiques, discours nationalistes, programmes de recherche ambitieux, sommes faramineuses allouées à l’innovation, héros admirés, cobayes sacrifiés, prouesses technologiques et avancées scientifiques : soif de savoir, d’aventure et de gloire, nul mieux que la conquête spatiale et son hapax lunaire ne pouvaient rendre compte de ce duel au sommet.

II - America first ? America second…

Reprenons le fil des événements.

L’humiliation provoquée par l’envoi de Spoutnik 1 (« un second Pearl Harbor » ira même jusqu’à dire le New York Herald Tribune) oblige les Américains à réagir.

Sous la présidence de Eisenhower, la National Aeronautics and Space Administration (N.A.S.A) est créée en 1958 ; dans la foulée, le programme Mercury destiné à envoyer des hommes dans l’espace est mis en place, et l’ingénieur allemand Wernher Von Braun (le concepteur nazi des fusées V2 exfiltré après la Seconde Guerre mondiale) se voit attribuer un poste de premier plan.

Malgré cette réaction vigoureuse, les Etats-Unis peinent à rattraper leur retard sur l’ennemi soviètique ; et jusqu’au milieu des années 60, ils tiendront le rang tenu par Raymond Poulidor à le même époque en France dans le domaine vélocipédique, à savoir le second…

Ainsi, les Etats-Unis lanceront leur propre satellite, Explorer 1, quatre mois après les Soviétiques (le 31 janvier 1958). Ils se résoudront à envoyer un chimpanzé dans l’espace (répondant au doux prénom de Ham), au grand dam des sept astronautes américains choisis pour le programme Mercury. Mais en agissant ainsi, ils ne feront que reproduire avec quatre ans de retard la démarche des soviétiques qui surent parfaitement, avec l’envoi sacrificiel de la chienne Laïka à bord du Spoutnik 2 le 3 novembre 1957, susciter l’émoi et l’admiration de l’opinion internationale.

Mais le pire est encore à venir pour l’orgueil américain : le 3 janvier 1959, la sonde russe Luna 1 passe à 6000 kilomètres de la Lune ; et surtout le 12 avril 1961, les Soviétiques envoient Youri Gagarine dans l’espace pour une révolution de 108 minutes autour de la Terre à bord de Vostok 1. Là encore, contraints de laver l’affront au plus vite, les Etats-Unis ripostent maladroitement en envoyant un mois plus tard l’astronaute Alan Shepard effectuer un modeste vol suborbital d’à peine un quart d’heure.

Désormais, la maîtrise des vols habités incite à de nouvelles premières. Le 16 juin 1963, l’URSS propulse la première femme dans l’espace en la personne de Valentina Tereshkova, provocation à laquelle les Etats-Unis ne répondront pas puisqu’il faudra attendre le début des années 80 pour voir la première astronaute. Enfin, le 18 mars 1965, le cosmonaute Alexeï Leonov tente et réussit la première sortie dans l’espace (12 minutes hors de sa capsule).

Pour la Maison Blanche, la coupe est pleine ! La réponse des Etats-Unis se doit d’être à la hauteur du défi imposé. Le nouvel occupant des lieux, John Fitzgerald Kennedy, place la barre le plus haut qu’il peut en prenant l’engagement le 25 mai 1961, devant un Congrès passablement médusé, d’envoyer un homme sur la Lune et de le ramener sur Terre avant la fin de la décennie !!!

Kennedy enfonce le clou l’année suivante lors de son célèbre discours de Houston (voir les extraits de son allocution dans les compléments d’En-Quêtes du n°8 sur le thème de la Lune).

Le compte à rebours a commencé, les deux camps fourbissent leurs armes : « Race to the Moon » ne craint pas de titrer le magazine Time, en représentant sur sa couverture, entre Terre et Lune, un cosmonaute et un astronaute au coude à coude, tels deux sprinters à l’entrée de la dernière ligne droite...

III - Mercury, Gemini, Apollo, dix ans de programme de recherche…

Même si le président Eisenhower a concouru à la création de la NASA et au démarrage du programme Mercury, il est demeuré perplexe devant les sommes gigantesques à dépenser et réservé sur le bien fondé de leur emploi, le développement du nucléaire lui paraissant plus urgent.

Changement de cap avec la nouvelle administration démocrate. Kennedy, promoteur de la « Nouvelle frontière » et Lyndon Jonhson après lui fournissent à Von Braun les moyens qu’il réclame depuis longtemps : le budget de la N.A.S.A est décuplé, plus de 35000 personnes y travaillent, 20000 entreprises et 200 universités participent à l’aventure.

Le programme Mercury constitue la première étape. Lancé en octobre 1958, il a pour double objectif de mettre les machines puis les corps humains à l’épreuve de l’apesanteur. Des sondes et des satellites aux noms évocateurs (Ranger, Luna Orbiter ou Surveyor) sont envoyés dans l’espace munies de système photographiques embarqués afin de collationner le plus grand nombre d’informations possibles.

Les vols habités débutent en 1961 et la mise en orbite est atteinte avec John Glenn l’année suivante avant d’être rapidement maîtrisée : Walter Schirra effectue six révolutions la même année à bord de Mercury 8.

Désireux de passer à la vitesse supérieure, les Etats-Unis abandonnent le programme Mercury pour le programme Gemini à partir de 1964. L’objectif de ce programme est contenu dans son nom, les « Jumeaux ». Il s’agit en effet de substituer aux vols individuels les vols en binôme. Les missions de la capsule biplace se multiplient jusqu’en novembre 1966, les exercices demandés aux astronautes rendent compte de l’option choisie pour la conquête lunaire. En effet, les partisans du vol direct aller-retour ont dû s’incliner devant les promoteurs de l’option « modulaire » : propulsés par une grosse fusée porteuse dont ils se détacheront rapidement, placer deux modules en orbite lunaire dont l’un, le plus petit, effectuera l’alunissage proprement dit avant de retourner s’arrimer au premier. Risqué techniquement, mais moins gourmand en combustible, le projet modulaire nécessite une pleine maîtrise des opérations de « rendez-vous » spatiaux et les capsules Gemini multiplient les opérations d’arrimage à des fusées-cible.

Dès 1967, Apollo remplace Gemini. Le sprint final est lancé, mais la catastrophe d’Apollo I (les trois astronautes Grissom, White et Chaffee meurent dans l’incendie de leur capsule après un exercice au sol) incitent la NASA à une certaine prudence ; d’autant que les Soviétiques qui semblent pâtir du décès de Sergueï Korolev montrent des signes de faiblesse (querelles, intrigues et absence de coordination…)

Dans le même temps, Von Braun est parvenu à mettre au point Saturn 5, un monstre de 3400 tonnes et de 111 mètres de haut capable de satelliser une charge de 45 tonnes en orbite lunaire.

Désormais, chaque mission Apollo reprend les acquis de la précédente en les poussant un peu plus loin. Les vols redeviennent habités à partir d’Apollo 7, après que la maîtrise orbitale soit véritablement réglée (octobre 1968). Le LEM (nom donné au module d’alunissage) est testé par Apollo 9, et Apollo X sert de répétition générale (juin 1969).

Apollo XI est prêt pour le grand voyage…

IV - Le triomphe d’Apollo XI

Il en vient de tout le pays, du Wisconsin, de l’Iowa ou de Pennsylvanie ; certains sont venus en voiture ou en caravane avec bagages, femmes et enfants et campent là depuis la veille. Ils ont déployé leur tente pour être aux premières loges. Les discussions vont bon train, on s’interroge, on débat, on livre ses premières impressions, on s’informe sur les horaires et la programmation.

Partout, l’enthousiasme le dispute à l’excitation ; âges, sexes et classes mélangés, un sentiment de communion fraternelle traverse l’assistance : l’histoire est en train de s’écrire en direct et rien ne sera plus comment avant...

Nous sommes bien en plein cœur de l’été 1969, nous sommes bien aux Etats-Unis, mais nous ne sommes pas à Woodstock, dans la plaine de Béthel pour « trois jours de musique et d’amour », nous ne sommes pas au mois d’août, nous sommes en juillet, nettement plus au sud, sur la côte est de la Floride, à Cap Canaveral, au centre spatial Kennedy ; et s’il s’agit bien dans les deux cas de s’envoyer en l’air en tutoyant les étoiles, la comparaison s’arrête là...

À un mois de distance, en un double rassemblement gigantesque, les Etats-Unis d’Amérique offrent au reste du monde deux visions radicalement différentes. Une bannière étoilée omniprésente et saluée la main sur le coeur de façon martiale pour l’une, un hymne national malmené et trituré à grands coups de pédale wah-wah, mêlé au bruit des bombes s’écrasant sur les villages vietnamiens pour l’autre...

L’Amérique qui se lève tôt en ce mercredi 16 juillet 1969 est une Amérique soucieuse de redorer son blason et de montrer en mondovision ce dont elle est toujours capable. Heurtée violemment par les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy, contestée sans ménagement sur les campus universitaires ou dans les défilés des Black Panthers, cette Amérique-là porte le visage de trois jeunes hommes blancs dans la force de l’âge (tous sont nés en 1930), ils ont pour nom Neil Amstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins. Concentrés, engoncés dans leur combinaison lunaire, mais suffisamment détendus pour saluer une dernière fois la presse avant l’embarquement, ils portent l’espoir d’une nation qui rêve de voir la prophétie kennedyienne devenir réalité.

Le départ est prévu pour 9h32. Une camionnette vient de déposer les trois astronautes sur le pas de tir 39 A. Ceux-ci ont pris place à l’intérieur du vaisseau ; le compte à rebours s’égrène sans à-coups. Dans la tribune VIP, Lyndon Johnson, l’ancien président démocrate, s’entretient poliment avec Spiro Agnew, l’actuel vice-président républicain ; non loin de là, on reconnaît Charles Lindbergh, invité pour l’occasion. Les épouses des trois héros sont également de sortie et se soumettent de bonnes grâces aux sollicitations journalistiques, les chaînes américaines sont toutes sur le pied de guerre. Tous les gestes comptent, tous les détails importent : un grand exploit n’est rien sans une bonne mise en scène.

À l’heure dite, les cinq moteurs de Saturn V déclenchent toute leur puissance dans un vacarme assourdissant. Ce sont 13000 litres de kérosène qui brûlent à la seconde, un nuage de condensation se forme à mesure que la fusée s’élève dans le ciel. Peu après le décollage, le centre spatial Kennedy passe les commandes au centre spatial Johnson à Houston.

Au bout de deux minutes, le premier étage est largué, le second au bout de huit ; après douze minutes d’ascension Apollon est en orbite terrestre à 170 kilomètres d’altitude.

À peine le temps d’effectuer trois révolutions que le moteur du troisième étage se remet en marche pour s’arracher définitivement de l’attraction terrestre. Reste une dernière manœuvre, la plus périlleuse car la plus délicate : détacher le module de commande et de survie du troisième étage et, au prix d’un remarquable mouvement de rotation, le faire s’arrimer par sa pointe conique au module lunaire nommé Eagle.

Le long voyage vers la Lune peut vraiment commencer, il fait 350000 kilomètres et va durer trois jours.

Le samedi 19, à midi, Apollo XI n’est plus qu’à 500 kilomètres de son objectif. L’appareil se stabilise à 110 kilomètres en orbite lunaire. Le lendemain, Amstrong et Aldrin se glissent dans le LEM. La descente vers la Lune s’effectue sans anicroche ; s’amorce alors, après deux heures et demi de vol, la phase d’alunissage. Malgré les calculs de position proposés par l’ordinateur, Eagle semble se diriger tout droit vers un grand cratère, ce qui oblige Amstrong à débrancher le pilotage automatique pour prendre lui-même les commandes. Le temps presse car le réservoir est presque à sec. Le module se pose finalement à six kilomètres du site initialement prévu. À bord, on reprend ses esprits et l’on se prépare à la sortie. Auparavant, Aldrin sort de son tabernacle un ciboire et un calice dans lequel il verse du vin, puis les deux hommes communient et lisent un extrait de l’Evangile de Jean. Ils se restaurent, vérifient leurs équipements, leur scaphandre pèse environ 80 kilos. Six heures et demie après l’alunissage, on ouvre l’écoutille frontale du module. Amstrong sort le premier, il met en marche le système vidéo qui permettra aux caméras de filmer l’événement.

Il est 21h56 à Houston, 3h56 à Paris, Amstrong vient de fouler le sol lunaire et lâche alors sa célèbre formule : « C’est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l’humanité » (« That’s one small step for a man, one giant leap for mankind »). Aldrin le rejoint vingt minutes plus tard ; maigre consolation pour le second, c’est Aldrin que l’on verra sur toute les photographies car c’est Amstrong qui tient l’appareil photo...

L’une des premières actions que les deux hommes entreprennent consiste à dévoiler une plaque fixée sur l’étage de descente du LEM (l’étage étant destiné à demeurer définitivement sur la lune), on peut y lire : « Ici, des hommes de la planète Terre ont mis pour la première fois le pied sur la Lune, juillet 1969 A.D (Anno Domini). Nous sommes venus en paix pour toute l’humanité ». Les deux s’habituent progressivement à leur nouvelle condition de vie, ils plantent le drapeau américain et se tiennent à côté, de part et d’autre pour s’entretenir avec le président Nixon : « Je ne peux vous dire combien nous sommes fiers de tout ce que vous avez fait. Pour chaque Américain, ce jour doit être celui de la plus grande fierté. »

Après les gestes symboliques vient le moment de la mission scientifique proprement dite : installation des instruments de mesure, prise de photos et collecte de roches (21 kilos au total).

Au bout de deux heures et demie, les deux hommes réintègrent le module, se débarrassent de leur combinaison, se restaurent et s’offrent quelques heures d’un sommeil bien mérité avant de décoller pour rejoindre le CSM Columbia où les attend Michael Collins.

Le voyage de retour s’effectuera sans encombre.

Le 24 juillet à 9h50, après 8 jours, 18 minutes et 18 secondes, Apollo 11 plonge dans l’océan pacifique à 24 kilomètres de l’USS Hornet. Des nageurs de la Marine arriment un boudin flottant autour de Columbia et déploient un radeau de sauvetage pour récupérer les astronautes.

Ceux-ci, après avoir passé leur combinaison au désinfectant, sont hélitreuillés à bord de l’hélicoptère Recovery 1.

Le porte-avions accoste Pearl Harbor trois jours plus tard, mais les astronautes resteront dans leur cabine de quarantaine jusqu’au 10 août, leur état de santé est excellent, tout danger de contamination est écarté.

Ce même mois, Amstrong, Aldrin et Collins entameront un tour d’honneur triomphal dans toute l’Amérique qui durera plus de six semaines.

V - Après Apollo XI…

Que les missions qui suivirent Apollo XI aient eu moins d’impact et laissé moins de trace dans la mémoire collective n’est en soi guère surprenant (il est en effet bien difficile de lutter contre le charme des premières fois...). La seule qui ait su marquer son époque et conserver quelque impact demeure, suprême ironie de l’histoire, celle qui précisément échoua ; Apollo XIII, dont le film éponyme de Ron Howard avec Tom Hanks retrace l’odyssée et le sauvetage dans un style tout hollywoodien. Victime à la 56ème heure de vol de l’explosion d’un réservoir d’oxygène, l’équipage dirigé par Jim Lovell fut contraint d’interrompre la mission, de contourner la lune et de faire d’assaut d’ingéniosité et de courage pour ramener le vaisseau à bon port.

À dire vrai, dès le second vol lunaire (Apollo XII en novembre 1969), l’excitation est retombée d’un cran. Cela n’empêchera pas la NASA d’enchaîner les missions à un rythme remarquablement soutenu jusqu'à la fin de l’année 1972.

Que retenir de ces alunissages successifs ? Peu de choses en fin de compte. Chaque vol possède son lot d’anecdotes et d’images fortes, chaque nouvelle mission tentant de surpasser la précédente par sa durée et l’utilisation d’outils de plus en plus sophistiqués.

On y joue au golf et l’on collecte les cailloux dans un grand caddy prévu à cet effet (Apollo XIV, en janvier 1971), on dispose d’un buggy lunaire, un véhicule électrique à quatre roues motrices nommé Lunar Roving Vehicle, pour effectuer de plus longues distances, on rejoue l’expérience galiléenne de la plume et du marteau sur l’astre mort (Apollo XV, en juillet 1971).

Apollo XVII sera l’ultime mission, la plus longue (72 heures sur la Lune) et la plus étendue (36 kilomètres de promenade sélénite) ; les quatre vols supplémentaires, initialement prévus, seront finalement supprimés. Il est vrai que le contexte intérieur et international a bien changé en l’espace de quelques années. Les raisons qui président à cet abandon (ou tout du moins à cette réduction) sont nombreuses. D’un point de vue scientifique, la NASA ne s’attend plus à faire de découvertes miraculeuses sur la Lune, la routine s’installe et il est dès lors inutile de tenter le diable en risquant la vie d’astronautes si le résultat final n’en vaut pas la peine. D’un point du vue économique, le Congrès renâcle de plus en plus à dépenser des sommes folles pour la conquête spatiale (25 milliards de dollars ont déjà été engloutis) d’autant que la présence américaine au Vietnam continue de coûter énormément. Enfin, d’un point de vue diplomatique, même si la Guerre froide demeure, la question de prestige se fait moins insistante : Nixon et Brejnev viennent de signer les accords SALT 1 qui prévoit une réduction de l’armada nucléaire et les Soviétiques -ayant renoncé à l’idée d’envoyer un cosmonaute sur la Lune- reportent leurs efforts sur le projet d’une station orbitale habitée (Station Saliout, puis Mir, puis Soyouz).

Ainsi s’achève le premier épisode de la conquête lunaire qui vit 12 hommes ramener 380 kilos de cailloux...

Conclusion : walking on the moon again?

L’absence de toute présence humaine sur la Lune depuis bientôt quarante ans ne signifie en rien l’arrêt des projets et des programmes de recherche. Force est de reconnaître, cependant, que la mise en veilleuse a été réelle ces dernières décennies. Américains et Russes ont poursuivi l’aventure spatiale en se fixant de nouveaux objectifs (Station orbitale et développement des navettes Discovery ou Challenger).

Pourtant, depuis le début du nouveau millénaire, la Lune semble être redevenue un centre d’intérêt majeur pour les scientifiques ; là encore, le contexte géopolitique offre les principaux éléments d’explication.

Si la conquête lunaire s’est inscrite dans le contexte historique de la Guerre froide, il semble que le nouvel épisode de « reconquête » lunaire doive se comprendre dans le cadre de la mondialisation et du multilatéralisme.

Sous la présidence de Georges Bush, le programme Constellation a été mis en place : ce dernier inclut la construction du lanceur Ares et de la capsule Orion pour une première mission habitée prévue en 2019 dans l’intention d’installer une base permanente en 2024 afin que quatre astronautes puissent y résider durant une semaine entière.

Toutefois, les Américains ne sont pas les seuls sur le pied de guerre, l’agence fédérale russe travaille en partenariat avec l’agence spatiale indienne ; mais plus encore, ce sont les Chinois qui dans ce domaine se montrent les plus ambitieux. Le CNSA (l’équivalent de la N.A.S.A chinoise) a dévoilé dès 2003 un programme de développement sur 15 ans censé déboucher en 2017 sur l’envoi d’une sonde. Le but ultime demeure l’envoi d’un taïkonaute chinois sur la Lune peu après 2020.

Ces projets semblent annoncer une lutte à venir entre les Etats-Unis et la Chine, ou plus exactement semblaient annoncer...

En effet, au début de l’année 2010, le président Obama a créé la sensation à l’occasion de la présentation du budget fédéral en annonçant la suppression pur et simple du programme Constellation, malgré les 9 milliards déjà investis dans le dit programme!

La crise économique oblige donc à de sérieuses restrictions budgétaires même si la N.A.S.A a obtenu une enveloppe financière de 6 milliards de dollars pour réfléchir à de nouvelles orientations.

En vérité, il semble désormais que les regards soient tournés vers la planète Mars, nouvel objectif de la conquête spatiale ô combien difficile puiqu'il nécessite 520 jours de voyage aller-retour!

L'aventure est loin d'être terminée...

Bibliographie et documentation

A man on the Moon, Catalogue de l'exposition au Palais de Tokyo, 2009

Ils ont marché sur la Lune, Hors-Série du Figaro, 2009

On a marché sur la Lune, Hors-Série du Point, 2009

Filmographie

L'étoffe des Héros, Philip Kaufman, 1983

Shadow of the moon, Ron Howard (documentaire), 2007



mis en ligne le 7 septembre 2010