Les lunes du Ramadan

par Florent Jobard

 

 


Dans l’article de Claude Bureau, La Lune, pomme de discorde, paru dans ce numéro, on lit la phrase suivante : « Cet écrit de Mahomet oblige donc ses fidèles […] à observer attentivement et respectueusement le croissant de lune marquant le début du mois de Ramadan (observation délicate car assujettie à la position relative de l'observateur sur le globe terrestre...) » De rapides lectures sur Internet m’ont confirmé cet état de fait que je ne connaissais pas : le début du Ramadan varie bel et bien d’un pays à l’autre, créant la polémique dans tout le monde musulman.

Tâchons de comprendre.

I) Les phases de la lune

Mais tout d’abord, quelques « rappels de cours », comme on dit chez nous :

La Lune tourne autour de la Terre en un mois : un mois sépare donc une nouvelle lune de la suivante.

Le Soleil éclaire tous les jours de l’année la moitié de la lune (en rouge), mais elle n’apparaît telle à un observateur situé sur la Terre qu’à deux moments de son cycle (en haut et en bas).

La nouvelle lune n’offre rien à voir à notre observateur terrestre, puisqu’elle lui présente sa face non éclairée. Elle est comme absente du ciel.

La Lune située à mi-parcours du premier quart de son cycle (celle située en bas à gauche) lui offre un croissant de lune en forme de C à l’envers.

Et celle située à mi-parcours du dernier quart de son cycle (celle située en haut à gauche) lui offre un croissant de lune en forme de C (à l’endroit).

II) Les débuts du Ramadan

Les représentations suivantes sont planes. Pour être parfaitement rigoureux, elles auraient dû être réalisées en trois dimensions, puisque le plan orbital de la Lune autour de la Terre ne se confond pas avec celui de la Terre autour du Soleil et que ces astres ne sont pas des disques mais des sphères. Il est même possible que le raisonnement suivant soit quelque peu biaisé. Mais faute de mieux…

Gros plan sur la Terre pour comprendre comment les choses sont perçues d’ici bas lors du premier quart de son cycle.

Le dessin indique que notre Terrien devrait pouvoir observer un fin croissant de lune. Toutefois, étant donné que le Soleil est situé « derrière » cet astre (le Soleil, la Lune et la Terre sont quasiment alignés), il est ébloui par la lumière du Soleil et ne voit rien de la Lune.

Rappelons au passage qu’il nous arrive parfois de voir la Lune en journée, mais, personnellement (je peux me tromper), je ne crois pas avoir jamais vu un fin croissant de lune en plein jour. Et pour cause !

La Terre tourne. Qu’observe alors notre Terrien quelques heures plus tard, à la tombée de la nuit ?

Toujours rien ! Car la Lune du dessin est située trop haut ; autrement dit, la Lune est sous l’horizon de notre observateur : sous la Terre, de son point de vue.

Quelques jours plus tard, la Lune, continuant sa ronde autour de la Terre, se situe un peu plus bas sur notre dessin.

Là encore, il faut attendre la nuit pour espérer voir un bout de lune (toujours cette histoire d’éblouissement).

Notre Terrien voit enfin un croissant de lune, à la tombée de la nuit.

Poussons l’analyse plus avant. Entre les deux moments représentés par les deux schémas précédents, il en est un particulier où la partie observable de la Lune (soit le point le plus haut du disque des dessins) se situe exactement sur le plan de l’horizon de notre Terrien, qui ne voit [1] alors qu'une ébauche de croissant de lune, un fil lunaire, comme le présente le dessin ci-dessous.

Or, la Lune tournant autour de la Terre et la Terre sur elle-même, ce moment singulier ne concerne que le Terrien (un Egyptien par exemple) de ce dessin. Un Terrien (supposons un Marocain) situé un peu plus dans le jour (la Terre tourne ici dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) serait ébloui et ne verrait rien. Il lui faudrait attendre quelques heures avant d’être plongé dans la nuit et de pouvoir observer un croissant de lune ; et ainsi de commencer le Ramadan.

Quant à un Terrien (disons un Iranien) situé un peu plus dans la nuit, il ne pourrait en effet voir la Lune, celle-ci étant de son point de vue située sous la Terre, comme l’indique le dessin suivant.

Il lui faudrait alors attendre un tour de la Terre sur elle-même, soit un jour, pour se trouver dans une situation similaire à celle de notre Egyptien.

D’autres facteurs peuvent également jouer dans ce décalage d’une journée, comme un paysage plus ou moins montagneux ou des conditions climatiques peu favorables… Mais on pourrait croire que je botte en touche…

Notes

1. Il semblerait que l’instant où le plus petit croissant de lune apparaît ne soit pas exactement celui-ci, pour des raisons de luminosité, mais qu’importe, cela n’infirme en rien notre raisonnement.


mis en ligne le 17 mars 2010