La mer chez Nabokov : un anti-sea, sex & sun

par didier Auger

 

 


La mer est notablement absente de l’œuvre de Nabokov ; étrangement, même, celle-ci ayant laissé par ailleurs de nombreuses pages admirables sur la nature sous ses autres formes. De plus, chez cet écrivain à l’affût du moindre frémissement du réel, formé à l’ « école proustienne », on se serait attendu à ce que la mer présentât un potentiel poétique considérable, voire qu’elle fût un catalyseur de réminiscences du passé comme chez son illustre devancier. Au lieu de cela, dès Printemps à Fialta (1), une nouvelle écrite à Paris en 1938 qui narre les ultimes retrouvailles du narrateur et de Nina à Fialta, une station balnéaire de Crimée, la mer, qui aurait pu servir de faire- valoir à cette idylle, annonce au contraire clairement « la couleur » dès l’incipit (2), à savoir qu’elle sera un contrepoint repoussant à celle-ci : « La mer, dont le sel est dissous dans un bain de pluie, est moins glauque que grise avec des vagues trop paresseuses pour se briser en écume ». Singulièrement escamotée dans le corpus central de la nouvelle, la mer ne réapparaît qu’à la dernière page, « chatoy(ante) », certes, mais comme pour mieux souligner son indifférence narquoise à la mort absurde de Nina dans un accident d’automobile que le lecteur apprendra quelques lignes plus loin et qui clôt le récit en une chute abrupte et frustrante. Dix-sept ans plus tard (en « temps réel nabokovien »), la mer ne se montrera pas plus coopérative aux tentatives du narrateur de Lolita de trouver à ses amours littorales avec sa jeune maîtresse un cadre, un havre idoines :

« Notre halte sur les galets d’une crique plausible de la côte Atlantique fut complètement gâchée par le temps : un ciel épais et lourd de pluie, des vagues boueuses, la mélancolie d’une brume sans fond mais étrangement prosaïque (…). Plus tard, il y eut ces deux ou trois plages semi-tropicales du golfe du Mexique, ensoleillées, certes, mais grouillantes de bêtes venimeuses et balayées par des ouragans incessants. Finalement, sur une plage de Californie, devant le spectre du Pacifique, je mis à profit l’intimité un peu perverse d’une manière de grotte, d’où l’on entendait les hurlements d’une troupe de girl-scouts qui se baignaient dans les brisants à l’autre bout de la plage, derrière des arbres en putréfaction ; mais un brouillard trouble-fête nous enveloppait comme une couverture mouillée, le sable était visqueux et abrasif, Lo était toute abrasée et visqueuse et piquetée de chair de poule, et pour la première fois de ma vie je ressentis aussi peu de désir pour elle que pour un lamantin ». (3)

De la Mer Noire au Pacifique en passant par l’Atlantique et la Méditerranée – ainsi que nous le verrons bientôt, tout se passe comme si la mer, chez Nabokov, s’ingéniait à échapper à la fonction érotisante que lui assigne une certaine tradition littéraire ; comme si, sur le plan sémantique, elle avait perdu son pouvoir de cliché, vidé qu’il aurait été de sa charge érotique. Pour nous en convaincre, examinons de plus près le passage suivant extrait de Lolita (4). Le narrateur y évoque son tout premier amour d’enfance avec une certaine Annabelle Leigh, bien des années avant sa rencontre avec Lolita, dans le cadre prometteur de la Riviera française. Mais avant que de citer le passage, arrêtons-nous un moment sur le nom même d’« Annabelle Leigh » qui, comme tous les noms propres chez Nabokov, est signifiant en soi, ici sur le plan intertextuel : en effet, « Annabelle Leigh » est l’homonyme quasi parfait de l’héroïne « Annabel Lee » d’Edgar Poe, à laquelle celui-ci consacrait un poème éponyme en 1849. Ses deux premières strophes, posant sujet, personnages et décor, sont éloquentes :

It was many and many a year ago,
In a kingdom by the sea,
That a maiden there lived whom you may know
By the name of Annabel Lee; -
And this maiden she lived with no other thought
Than to love and be loved by me.

She was a child and I was a child,
In this kingdom by the sea,
But we loved with a love that was more than love –
I and my Annabel Lee –
With a love that the winged seraphs of Heaven
Coveted her and me.
(5)

La situation y est déjà celle de l’extrait de Lolita : le narrateur du poème, alors enfant, et une jeune fille de son âge, s’y aiment d’un amour éperdu et réciproque. Leur sentiment se déploie et prospère dans un cadre idyllique qui revient comme un leitmotiv dans chaque strophe : un royaume au bord de la mer. Le vocable de « royaume » confère d’emblée à la mer une connotation merveilleuse, féerique, qui ne peut que rejaillir sur l’amour des adolescents en le sublimant, en l’idéalisant, en le projetant dans une dimension fictive où il sera hors d’atteinte des menaces du réel. Ici, la mer se fait berceau protecteur et complice des amours juvéniles. Elle est l’espace du libre déploiement d’un amour et d’un érotisme librement consentis. Elle définit une norme poétique – une sorte d’éden érotique dont la littérature française fournirait un équivalent pertinent à travers l’île de France (l’actuelle Ile Maurice) du Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre - dont le texte de Lolita ne va cesser de prendre la mesure de l’écart qui l’en sépare. Certes, les amours du narrateur de Poe et d’Annabel Lee ne dureront qu’un temps et connaîtront une fin tragique comme celles du narrateur de Lolita et de son Annabelle Leigh ; mais l’héroïne de Poe meurt « par le vent », « par l’air », atteinte d’une maladie de poitrine, tandis que celle de Nabokov, comme nous le verrons, mourra « par la mer »… Mais place à l’extrait de Lolita :

« Là, couchés sur le sable tendre à quelques pas de nos cerbères, nous restions tout le matin dans un paroxysme de désir pétrifié, guettant le moindre cahot dans l’espace ou le temps pour nous frôler brièvement : sa main, à demi-enfouie dans le sable, se faufilait vers moi sur le bout de ses doigts bruns et fuselés, avec une lenteur tâtonnante et somnambulique ; ou bien c’était son genou opalescent qui commençait de ramper à ma rencontre en un long et prudent voyage ; parfois, un rempart adventice érigé par des enfants nous offrait un abri précaire derrière lequel j’effleurais ses lèvres salées ; mais après ces caresses incomplètes, la tension exaspérée de nos jeunes corps ignorants et vigoureux était telle que même l’eau bleue et fraîche, où nous nous cherchions encore, ne parvenait pas à nous calmer. »

L’extrait s’ouvre comme une page d’André Pyere de Mandiargues. Le décor, l’atmosphère sont ceux du Lis de mer (6). Une plage. Le « sable tendre ». Un matin d’été sur la Riviera française. Des corps qui se cherchent et s’effleurent… Sans accéder à la dénotation – tout morceau de bravoure descriptif lui étant dénié, la mer est tout de même présente à nos sens. A notre ouïe, d’abord. Construit sur une seule phrase entrecoupée de deux points-virgules, le paragraphe se déploie par « vagues » successives en une ample période ondoyante rappelant, par un mimétisme rythmique, la proximité de la mer en fond sonore. A notre goût, ensuite. Présente métonymiquement (7) sur les lèvres d’Annabelle à l’état de traces de sel (« j’effleurais ses lèvres salées »), elle est la promesse d’une sensation âpre et rare, d’un supplément de plaisir. La profusion adjectivale – comme souvent chez Nabokov, chaque nom est affecté d’une ou plusieurs épithètes et l’on n’en compte pas moins de quatorze jusqu’au « mais » qui articule le passage – ainsi que le bourgeonnement de la phrase constamment enrichie de compléments, créent par ailleurs une impression superficielle de complétude, de plénitude, voire de moiteur. Mais sous la plénitude apparente, point un malaise, guette un soupçon, et ce dès le début du texte, bien avant le « mais » fatidique. L’immobilité (« couchés sur le sable »), la lenteur (« nous restions tout le matin »), renforcées par les imparfaits duratifs et l’alternance assez monotone de rythmes binaire et ternaire (8) dans la phrase, pourraient être l’effet d’une torpeur, d’un alanguissement des corps sous la torridité montante d’un matin estival méditerranéen. Mais c’est que l’immobilité se fait ici paralysie : « un paroxysme de désir pétrifié (9)
». Il n’y a même jusqu’au temps dont le cours ne semble s’arrêter, se figer, abolissant toute possibilité d’action, de rapprochement physique des corps, ici, sauf à guetter une faille dans celui-ci comme une échappatoire providentielle (« guettant le moindre cahot dans l’espace ou le temps pour nous frôler brièvement »). Un champ lexical de l’incomplétude, du geste inachevé, vient alors tisser sournoisement dans le texte, comme en filigrane, un paradigme (10) de la frustration qui corrompt peu à peu l’impression première de sensualité diffuse : « nous frôler brièvement », « son genou opalescent (…) commençait de ramper », « ces caresses incomplètes »). La frustration est à son comble dans la clausule (11) de la phrase (renforcée par l’intensif « telle que »), articulée par le « mais » adversatif qui, en même temps qu’il amorce la chute du paragraphe, précipite celle des apprentis amants dont le désir restera inassouvi et qui en seront quittes pour trouver refuge dans la mer afin de le réprimer. Symboliquement, la mer devient le lieu d’une désérotisation. Non seulement elle (et ses prolongements métonymiques : la plage, le soleil méditerranéen, le cadre maritime, la station balnéaire…) se dérobe à assouvir un désir qu’elle a pourtant favorisé et motivé en permettant la dénudation et la contiguïté des corps, mais elle échoue encore à en soulager la douleur : « l’eau bleue et fraîche, où nous nous cherchions encore, ne parvenait pas à nous calmer ». Pire : froide de température (« fraîche ») et de couleur (« bleue »), elle est à la fois une négation du désir et un cruel et pervers rappel de celui-ci par le violent contraste qu’elle lui oppose ; elle devient l’espace d’un désir toujours entretenu, jamais assouvi : « où nous nous cherchions encore ». Plus tard, avec Lolita, cette désérotisation contaminera même jusqu’à l’objet du désir, le corps aimé de celle-ci, assimilé à un « lamantin », animal marin d’aspect hideux. A la frustration se substituera alors littéralement une perte du désir. La mer montre ici pleinement sa « face nabokovienne » : elle est totalement subvertie en tant que topos (12) érotique traditionnel, donnant à cette page sa pleine dimension de parodie des romans à la Mandiargues.

Quelques temps plus tard, les deux adolescents à vif font une ultime tentative désespérée pour s’unir :

« Sous le plus futile des prétextes (c’était notre chance dernière et rien d’autre n’importait), nous nous esquivâmes du café et courûmes à la plage. Là, sur une bande de sable désert, dans l’ombre violette d’une grotte de rochers roses, nous eûmes un bref échange de caresses avides, avec pour unique témoin une paire de lunettes de soleil oubliée par un estivant. J’étais à genoux et sur le point de posséder ma bien-aimée quand deux baigneurs barbus, le vieil homme de la mer et son frère, sortirent des flots en nous criant des encouragements obscènes, et, quatre mois après, elle mourut du typhus à Corfou. » (13)

Jamais décrite dans l’extrait initial, la mer est totalement oblitérée, abstraite du second. Cette fois, elle n’accède même pas au stade de la dénomination, le vocable de « mer » n’étant jamais prononcé, sauf dans l’expression « le vieil homme de la mer et son frère » et le terme de « flots », mais avec un effet « déréalisant » sur lequel nous reviendrons dans quelques instants. Même la piètre métonymie de « l’eau bleue et fraîche » du premier extrait lui est ici refusée. A y regarder de près, elle n’est même évoquée qu’à travers ce qui la nie : « une bande de sable », « une grotte de rochers », la terre ferme, en somme. C’est qu’inopérante en tant que cliché érotique comme nous l’avons vu au terme du premier extrait, elle n’a plus de raison d’être littérairement. Elle ne peut ressurgir qu’en creux, que par ce qu’elle n’est pas, qu’à travers ses contraires, sorte de négatif (au sens photographique du terme) cauchemardesque de l’éden érotique qu’elle aurait dû être. Le vide laissé par son « anérotisme » s’emplit bientôt d’un « paysage intérieur », celui du subconscient du narrateur, fait des obsessions et des phobies de celui-ci, qui retravaille, remodèle, « solipsise » (14) entièrement le paysage ambiant. Dans le second extrait, le non assouvissement du désir vient de l’irruption inattendue de deux baigneurs dont les « encouragements obscènes » castrateurs désamorcent et font échouer la scène. Le thème du voyeurisme obstacle au plaisir, préparé quelques lignes auparavant par celui de la « paire de lunettes de soleil oubliée par un estivant », était déjà en germe dans le premier extrait à travers la nécessité du « rempart adventice (de sable) érigé par des enfants » fournissant un « abri précaire » aux regards. Il s’amplifie ici à proportion de la taille du nouvel abri recherché : « une grotte de rochers roses ». C’est encore une grotte qui sera recherchée comme abri à d’improbables ébats avec Lolita sur la côte Pacifique des Etats-Unis, des années plus tard, comme en témoigne le texte cité en page une. La preuve ultime en est dans cette phrase précédant de peu le premier extrait : « nous ne connûmes jamais qu’une solitude dérisoire, hors de portée de voix mais non des regards, dans quelque coin de la plage populeuse ». Mais la mer ne prend toute sa dimension de source de cauchemar qu’avec l’émergence des deux importuns, semblant comme engendrés par elle, qui, surgissant, parfaitement symétriques et « barbus » en une sorte de ralenti de cinéma rendu par la longueur et l’ampleur de la phrase, prennent un instant l’allure mythologique et horrifiante d’un hydre bicéphale. Vision monstrueuse d’ailleurs préparée par le thème du « cerbère » (15) dans le premier extrait, métaphore hyperbolique d’une autre sorte de fâcheux, d’empêchement au plaisir : les parents ; et qui ressurgira vingt-quatre ans plus tard (en « temps de l’histoire »), comme en une sorte de lapsus horrifié, jusque dans le journal intime d’Humbert, alors qu’il vient de prendre pension dans la famille de Lolita : « Ces monstres barbus et obscènes sortant des flots : « Mais allez-y, allez-y ! ». Annabelle sautillant à cloche-pied pour enfiler son short et moi, le cœur soulevé de rage, essayant de la masquer à leurs yeux » (16). La mer devient alors « flots », non plus simple élément naturel s’inscrivant avec l’homme dans un rapport de contiguïté harmonieuse au sein de l’ordre des choses, mais un concept culturel, une imago connotée négativement : l’océan tumultueux et mortifère des tableaux romantiques, un péril pour l’homme. La seule occurrence du vocable de « mer » en tant que tel est dans l’expression « le vieil homme de la mer et son frère », expression qui ne peut manquer de nous faire songer au livre d’Hemingway Le vieil homme et la mer qui narre la lutte acharnée d’un pêcheur perdu au milieu de l’océan avec les éléments et un espadon dont il ne remontera finalement que le pitoyable squelette décharné par les requins… Expérience d’une autre frustration, donc, qui vient, par connotation, surdéterminer celle, sexuelle, du narrateur de Lolita. Par ailleurs, Nabokov méprisait Hemingway et son symbolisme grossier et facile. A un troisième niveau, donc, celui de la biographie de l’auteur, la référence-repoussoir, parodique, vient saper, salir, entacher l’évocation de la mer. Enfin, le caractère mortifère de la mer introduit par le vocable de « flots » et ses connotations (picturales) inquiétantes n’est pas que d’ordre culturel et artistique. Il s’accomplit littéralement dans la « réalité » diégétique (17) du récit, comme en témoigne la clausule « et, quatre mois après, elle (Annabelle) mourut du typhus à Corfou ». Le narrateur laisse entendre, par le procédé de la « causalité courte » (18), que le décès (prématuré !) d’Annabelle est la conséquence directe de cette expérience castratrice liée à la mer dont elle serait peut-être sortie affaiblie sur un plan psychosomatique. Annabelle meurt d’ailleurs à Corfou, sépulcre non innocent : cité maritime et grecque, qui file par là-même le paradigme mythologique cauchemardesque du texte. Annabelle n’est d’ailleurs pas la seule héroïne nabokovienne à mourir « par » la mer. Des années plus tard (en terme de temps de publication), dans Ada ou l’ardeur, Lucette, repoussée dans ses avances par son demi-frère Van qui lui préfère sa sœur aînée Ada, « noiera » son dépit amoureux dans l’Atlantique, cette fois, en se jetant par-dessus bord d’un paquebot effectuant la traversée (19)



Tout nabokovien averti aura reconnu là, la commissure des lèvres relevée en un rictus entendu, dans cette nouvelle pulvérisation hargneuse d’un topos littéraire, l’une des intentions majeures du maître dans son œuvre : déstabiliser systématiquement le lecteur (paresseux) en subvertissant ses codes de lecture culturels, l’amenant à une lecture minutieuse et personnelle, dégagée des a priori et des préjugés socioculturels. En s’attaquant qui plus est à un topos érotique, nous privant du sea, sex and sun attendu pour lui substituer un éden en creux peuplé de phobies castratrices et de monstres de la mythologie grecque, Nabokov adresse un ultime pied de nez au lecteur de gare pervers et philistin qui aurait été tenté de « consommer » Lolita comme un roman érotique de pacotille, le laissant quitte pour sa frustration comme en écho de celle de ses personnages, lui soufflant tout de même à l’oreille avant de le quitter cette leçon de toute son œuvre, à savoir qu’en littérature, il ne peut y avoir de véritable érotisme que dans un « jeu » non pas entre les corps, mais entre les mots…


Notes :


1. Printemps à Fialta, in Mademoiselle O, traduit de l’anglais par Maurice et Yvonne Couturier ; Julliard, 1982 ; p. 37.
2. L’ouverture du récit.
3. Lolita, traduit de l’anglais par E. H Kahane ; Gallimard, 1959, p. 193.
4. Id. , p. 17.
5. Notre traduction :

Il y a fort longtemps,
Dans un royaume au bord de la mer,
Vivait une jeune fille que nous appellerons ici
Annabel Lee ; -
Et cette jeune fille vivait dans l’unique dessein
D’aimer et d’être aimée de moi.

Elle était une enfant et j’étais un enfant,
Dans ce royaume au bord de la mer,
Mais nous nous aimions d’un amour plus fort que l’amour,
Mon Annabel Lee et moi –
D’un amour tel que les séraphins ailés du Ciel
Nous le disputèrent.

6. Le Lis de mer, André Pyere de Mandiargues ; Robert Laffont, 1956. Mandiargues, poète, essayiste et romancier français né en 1909 et mort en 1991, d’obédience surréaliste, est l’auteur d’une œuvre abondante qui mêle violence, mort et érotisme. Son roman La Marge a été couronné par le prix Goncourt en 1967 ; l’ensemble de son œuvre poétique par le Grand Prix de poésie de l’Académie française en 1979.
7. Figure de style consistant à prendre la partie pour le tout.
8. On appelle « rythme binaire » une accentuation tonique – c’est-à-dire le fait qu’une syllabe soit prononcée plus fortement et sur une tonalité plus élevée – récurrente toutes les deux syllabes ; un « rythme ternaire » une accentuation tonique toutes les trois syllabes. Ainsi, la phrase de la traduction française est accentuée de la façon suivante – les voyelles accentuées sont soulignées : « Là, couchés sur le sable tendre à quelques pas de nos cerbères, nous restions tout le matin dans un paroxysme de désir pétrifié ». La séquence rythmique est donc la suivante : 1/2/3/2/2/2/2/2/3/3/4/3/2/4/3. Les séquences binaires et ternaires y sont dominantes, sans recherche particulière de rupture de rythme, suivant d’ailleurs fidèlement l’original anglais « There, on the soft sand, a few feet away from our elders, we would sprawl all morning, in a petrified paroxysm of desire » (Lolita, Nabokov ; The Olympia Press, 1955, p. 18) pour une séquence en 1/3/1/3/2/4/3/3/5/3/3.
9. C’est nous qui soulignons.
10. Un champ lexical, c’est-à-dire un groupe de mots se rapportant à un même thème.
11. Partie terminale d’une phrase, d’un paragraphe, en terme de rythme.
12. Cliché, lieu commun.
13. Op. cit., p. 17-18.
14. Subjectivise. Le solipsisme est une figure de pensée qui consiste à ne reconnaître d’autre réalité que celle perçue par sa propre conscience.
15. Dans la mythologie grecque, nom du chien à trois têtes qui gardait l’entrée des enfers.
16. Op. cit., p. 64.
17. De “diégèse” (du grec diegesis = l’histoire), terme de narratologie.
18. La « causalité courte » désigne le raisonnement logique consistant à expliquer un phénomène par une cause immédiate, proche, pas forcément la bonne. En psychanalyse, elle désigne une causalité psychique individuelle par opposition à une causalité sociohistorique collective. Appliquée à la stylistique par Jean Starobinsky, elle désigne une cause superficielle par opposition à une cause profonde, ou une cause réduite à l’un de ses principes efficients. Par exemple, évoquant une tentative d’empoisonnement de Frédéric II de Prusse dans ses Mémoires, Voltaire écrit qu’ « un plat de champignons faillit décider du sort de l’Europe ». La causalité courte consiste ici à réduire le complot à son moyen : l’empoisonnement aux champignons vénéneux. Dans le texte de Nabokov, elle réside plutôt dans le détournement de la cause efficiente de la mort d’Annabelle du typhus vers l’épisode frustrant de la plage.
19. Ada ou l’ardeur, traduit de l’anglais par Gilles Chahine et Jean-Bernard Blandenier ; Fayard, 1975 ; p. 411-412. Le magistral récit du suicide de Lucette s’ouvre d’ailleurs sur ce lapsus révélateur : « Bien que jamais encore Lucette n’eût plongé dans la mort – non, la « mer », Violet – d’une pareille hauteur au milieu d’un tel désordre d’ombres et de reflets serpentiformes, elle entra presque sans une éclaboussure dans la vague qui se gonfla pour l’accueillir ». Notons aussi la couleur encore peu avenante de l’océan (« Violet »), le thème récurrent du monstre sous-jacent (« de reflets serpentiformes ») et le zèle de la mer à s’offrir en tombeau à Lucette : « la vague (…) se gonfla pour l’accueillir ».