« Quelque
prochaine soit la terre on est toujours assez avant dans la mer pour
y trouver son tombeau. »
Sentence d’un dominicain de Grasse du milieu
du XVIIIe siècle
« Sea, sex and sun / Le soleil au zénith / Me surexcitent
/ Tes p’tits seins de bakélite / Qui s’agitent
» chantait Gainsbourg, reprenant ainsi un lieu commun de la
littérature et de la conscience collective : la mer comme éden
érotique. Didier Auger développe pourtant la thèse
originale que ce topos n’a pas été partagé
par tous les écrivains. Nabokov – selon ses dires le
plus grands de tous – présenterait tout au long de son
œuvre, une image inverse de la mer : une mer glauque, castratrice
et désérotisante, le lieu même de la mort du désir,
voire de la mort elle-même.
Loin de la côte,
là où elle n’était que loisirs, plaisirs,
symbole même des vacances, la mer inquiète, se fait menaçante,
effrayante, au point que le vocabulaire populaire de la folie semble
dépendre pour une grande part de l’expérience
de la mer. Elaborées à partir de cette science précieuse
qu’est l’étymologie, qui derrière les mots
révèle tout un pan de l’histoire des objets et
des hommes, les réflexions de Florent Jobard mettront en lumière
un savoir ancien, perdu, puisqu’elles le conduiront vers une
étude des points cardinaux, points de repère essentiels
pour ne pas « perdre le nord ».
Mais l’art
de la navigation ne se borne pas à la seule reconnaissance
de ces points-références. Quoique indispensables aux
marins, ils ne disent rien en revanche de leur localisation sur la
mer. Florent Jobard, dans ce second article, s’est alors intéressé
à la façon dont Vespucci, l’un des plus fameux
navigateurs de l’époque des Grandes Découvertes,
calculait la latitude. Il redécouvrira alors le rôle
crucial joué par un astre ô combien singulier : l’étoile
polaire.
Néanmoins,
que devient cette science de la navigation lorsque l’équipage,
aux prises avec les tempêtes les plus violentes, ne parvient
plus à distinguer la mer des cieux ? Les uns, alors, s’en
remettent à Dieu, tandis que les autres prient la Mort de les
libérer de ces interminables supplices. Grégory Hosteins
tente, à travers quelques mots laconiques rapportés
par ce même Vespucci, de dire ce qu’il ne dit pas, de
percer les mystères de cette expérience unique et extrême
qu’est la navigation en haute mer.
La mer fit sombrer
de nombreux équipages et des flottes parmi les plus prestigieuses.
Dans son palais de l’Escurial, dans les derniers jours de Juillet
1588, le roi d’Espagne Philippe II goûte à cette
heureuse nouvelle : sa flotte a quitté le port de la Corogne
et se dirige enfin vers les côtes anglaises. Certain de livrer
une guerre juste à l’Angleterre protestante, son «
invincible armada » essuiera pourtant l’un des plus grands
revers de l’histoire maritime de son pays. Daniel Poza-Lazaro
raconte, à travers les pensées intimes de ce souverain,
la déroute de la plus grande flotte européenne de l’époque.
Enfin, quelques morceaux choisis de la peinture
par François Jeannet, de Botticelli à Cézanne,
qui retracent les différentes représentations de la
mer : décor aimable pour certains, elle est source d’effroi
ou de grandeur pour d’autres. Amateur d’histoire des
idées et peintre lui-même, il replace, par un heureux
mélange d’indications biographiques et de réflexions
philosophiques et personnelles, chacune de ces œuvres dans
leur contexte.
Sans oublier les deux sujets libres de ce numéro, dont le premier
prolonge celui consacré au soleil : Didier Auger, passionné
de la culture inca et quechuaphone de surcroît, présente
une étude à la fois claire et complète de la
religion solaire des Incas, qui, non contents de faire de cet astre
l’objet principal de leur culte, se disaient être les
« fils du soleil ».
Enfin, Grégory
Hosteins, toujours en quête de l'île Utopia, s'étonne
que Raphaël Hythlodée ne mentionne pas ses coordonnées
exactes, alors que ses descriptions géographiques fournissent
de nombreux détails. Oubli, lacune, volonté délibérée
de ne pas en dire plus ? Peut-être... à moins que la
Géographie de la Renaissance ne diffère quelque peu
de la nôtre...
Après le temps, le soleil, le sang et la mer, l’équipe
d’En-Quêtes a choisi pour son prochain numéro
un thème tout aussi fondamental : la guerre.
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