La tramontane de Vespucci

par Florent Jobard

 

 


« Ou penchés à l’avant des blanches caravelles
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’océan des étoiles nouvelles. »

Les Conquérants, José Maria de Heredia


L’étoile polaire servait de point de repère à tous les navigateurs depuis l’Antiquité. Tout comme l’aiguille aimantée, connue depuis des temps immémoriaux par les Chinois et dont les premiers usages occidentaux datent de la fin du XIe siècle, l’étoile polaire indique la direction du nord. Mais son usage dépasse de loin celui de la boussole car, contrairement à celle-ci, elle permet également de connaître la latitude, et ce avec la plus grande précision. Or ce deuxième point est fondamental, on s’en doute, pour la navigation en haute mer, lorsque les côtes ne sont plus visibles et que tout point de repère terrestre a disparu.
Les concepts de latitude et de longitude furent redécouverts au moins dès le milieu du XVe siècle en même temps que La Géographie de Ptolémée, philosophe grec du IIe siècle après Jésus-Christ, présentant une Terre ronde et quadrillée de cercles parallèles à l’équateur (qui définissent la latitude) et de méridiens (qui définissent la longitude).
C’est grâce à la mesure de la latitude par l’astrolabe que des nefs portugaises en 1487 ont pu atteindre le cap de Bonne Espérance, leur permettant une navigation hauturière et le contournement des vents et des courants marins contraires le long des côtes africaines ; en novembre 1497 Vasco de Gama double le cap et en 1498 atteint les côtes indiennes. C’est elle également qui permit à Alvares Cabral d’éviter les calmes du golfe de Guinée ; il s’éloigna alors tellement de la côte qu’il découvrit le Brésil, en 1500. Et c’est encore elle, enfin, qu’utilisèrent les grands découvreurs pour contrôler une inévitable dérive vers le nord ou le sud au cours de leur traversée de l’Atlantique vers le Nouveau Monde. Car, si la direction du nord, ou de tout autre point cardinal, se révèle nécessaire pour toute question relative à l’orientation, elle ne dit rien en revanche au sujet de l’éloignement « en hauteur » du bateau par rapport à l’équateur, autrement dit de la latitude.
Amerigo Vespucci fut l’un de ces grands explorateurs à avoir navigué en direction du Nouveau Monde – et non des moindres puisque les terres d’Amérique furent baptisées de son prénom. Il fit au moins quatre voyages à partir de 1497, soit cinq années après Christophe Colomb. Or il a laissé un certain nombre d’écrits particulièrement intéressants d’un point de vue scientifique, et notamment au sujet de la latitude. Aussi, nous appuierons nos explications sur quelques-unes de ses lettres, adressées à son protecteur Lorenzo di Pier Francesco de Medicis, qui mettent en lumière la façon dont ce grand navigateur – et sans doute la plupart des navigateurs de cette époque – procédait pour la mesure de cette première coordonnée spatiale qui, avec la longitude, permettait l’exacte localisation des bateaux et des lieux.


I- ETOILE POLAIRE ET LATITUDE

1- Plus ou moins haut dans le ciel

« Magnifique Seigneur, mon Seigneur. [...] La présente lettre a pour but de vous annoncer qu’il y a un mois approximativement je suis revenu des régions de l’Inde [l’Amérique] par la voie de la mer Océane [l’Atlantique], sain et sauf par la grâce de Dieu, dans cette ville de Séville [...]. Si je me souviens bien, votre Magnificence s’y entend quelque peu en cosmographie, aussi je pense vous indiquer jusqu’où nous sommes allés dans notre navigation, en longitude et latitude. [...] Nous avons tant navigué dans la zone torride [la zone comprise entre les tropiques du Cancer et du Capricorne] vers la région australe [vers le sud], que nous nous sommes trouvés sous la ligne équinoxiale [l’équateur]. Nous avions un pôle et l’autre à la fin de notre horizon. » (1)
Cette dernière phrase est particulièrement intéressante pour le sujet qui nous concerne car elle témoigne du rapport étroit qui existe entre, d’une part, la position d’un observateur sur la Terre et, d’autre part, la hauteur à laquelle il aperçoit l’étoile polaire. Considérons les schémas suivants. On constate alors que plus l’observateur est proche du pôle Nord, plus il lui faut lever la tête pour apercevoir l’étoile polaire (plus l’angle est grand). Pour comprendre ces schémas, il nous faut nous rappeler que l’étoile polaire, comme toute autre étoile, est extrêmement loin de la Terre. Par conséquent, on peut supposer que la demi-droite qui relie l’observateur à l’étoile polaire est parallèle à l’axe des pôles.


Ainsi, Vespucci, à mesure qu’il progresse vers le sud, et donc vers l’équateur, voit l’étoile polaire de plus en plus proche de l’horizon, au point qu’elle finit par disparaître complètement : « Nous l’avons dépassée [la ligne équinoxiale] de 6° et nous avons complètement perdu de vue l’étoile tramontane [l’étoile polaire]. C’est à peine si l’on pouvait voir les étoiles de la Petite Ourse [constellation de l’étoile polaire], ou pour mieux dire les gardiennes qui tournent autour du firmament. » (2) Etant très proche de l’équateur, il lui est même possible de voir les deux pôles, l’étoile polaire du nord et le groupe d’étoile qui constitue le pôle Sud. L’image suivante (3), qui est une photographie du ciel prise avec un long temps de pose, montre une étoile polaire au ras du sol, ce que devait observer notre navigateur.


Les cercles sont les trajectoires des étoiles autour de l’étoile polaire : les fameuses « gardiennes qui tournent autour du firmament ».

2- Définition d’un parallèle

Nous avons pris la peine de vérifier toutes les latitudes mentionnées par ce navigateur – et elles sont nombreuses – et toutes, à l’exception d’une seule (4), sont correctes. Comment s’y prenait-il ? Pour comprendre sa méthode et le concept de latitude, il nous faut d’abord introduire celui de parallèle.
Les parallèles sont ces cercles qui quadrillent nos mappemondes parallèlement à l’équateur. Des deux premiers schémas il apparaît alors clairement que les habitants d’Ankara et de Pékin, villes situées sur le même parallèle (le 40e), voient l’étoile polaire à la même hauteur dans le ciel, tandis que les habitants d’Oslo, située plus au nord, sur le 60e parallèle, voient cette étoile bien plus haut dans le ciel. Un parallèle peut donc être défini comme l’ensemble des points du globe d’où l’on voit l’étoile polaire à une hauteur donnée. Mais à quoi correspondent ces nombres, 40 et 60 ?

3- Parallèle et degré de latitude

Il serait maladroit de vouloir définir un parallèle comme l’ensemble des points situés à telle ou telle distance de l’équateur : dire par exemple que Pékin en est distant de 40 unités de longueur n’est en effet pas très parlant puisqu’il nous faudrait comparer cette distance à celle qui sépare l’équateur du pôle Nord pour avoir une idée de la « hauteur » de cette ville sur le globe. Cela reviendrait d’ailleurs à connaître la circonférence de la Terre, problème qui est loin d’être évident et qui a connu différentes solutions au cours de l’Histoire.
En fait, pour connaître la latitude d’un lieu, on ne mesure pas la distance mais l’angle qui le sépare de l’équateur, angle dont le sommet est le centre de la Terre.


Quelle que soit la taille attribuée à la Terre, l’angle du schéma précédent, et c’est là tout l’intérêt du concept d’angle, est constant. Ainsi, il revient au même de dire que la ville de Pékin est située sur le 40e parallèle et qu’elle est située à 40 degrés de latitude nord.
De même, une ville située sur l’équateur est à 0 degré et le pôle Nord à 90 degrés.

4- Hauteur de l’étoile polaire et latitude

La hauteur maximale de l’étoile polaire par rapport à l’horizon est atteinte pour un observateur situé au pôle Nord qui la voit juste au-dessus de sa tête. On remarque dans ce cas que l’angle formé par l’étoile polaire, l’observateur et le sol est de 90 degrés, soit exactement la latitude du pôle Nord. De même, lorsque Vespucci est sur l’équateur (soit à 0 degré de latitude), ce même angle est de 0 degré : « Nous avions un pôle et l’autre à la fin de notre horizon ». Ce n’est pas un hasard, cette égalité des mesures d’angle se retrouve pour tous les points de la Terre, comme nous allons le comprendre grâce aux schémas suivants.


E est égal à E’, ce qui revient à dire que l’angle formé par l’étoile polaire, l’observateur et le sol a la même mesure que l’angle formé par l’observateur, le centre de la Terre et le point de l’équateur qui lui correspond. Ainsi, un observateur qui aperçoit l’étoile polaire à 40 degrés au-dessus du sol est en fait situé à 40 degrés de latitude nord, sur le 40e parallèle. Coïncidence parfaite donc entre la hauteur de l’étoile polaire et la latitude.
C’est l’immobilité de l’étoile polaire, sa grande distance par rapport à la Terre et enfin la rotondité de cette dernière qui toutes trois assurent cette incroyable coïncidence, si précieuse à nos navigateurs en mal de repérage. Nous sommes ainsi passés d’une mesure relative de la latitude, qui augmente en même temps que la hauteur de l’étoile polaire dans le ciel, à une mesure absolue. Levez les yeux au ciel et vous saurez exactement, au degré près, où vous êtes situés par rapport à l’équateur : « Nous avons tant voyagé dans ces mers que nous sommes entrés dans la zone torride et que nous sommes allés au-delà de la ligne équinoxiale en direction du sud et du tropique du Capricorne, si loin que le pôle Sud était à 50° au-dessus [de nos têtes] et que ma latitude était d’autant de degrés de la ligne équinoxiale » (5), où l’on comprend qu’un homme comme Vespucci avait parfaitement saisi l’équivalence entre la latitude (son éloignement angulaire par rapport à l’équateur) et la hauteur angulaire de l’étoile polaire (il s’agit ici de la Croix du sud, explicitée au paragraphe suivant).

5- A la recherche de l’étoile du sud

A chaque degré parcouru par l’équipage en direction du sud, de nouvelles étoiles apparaissent dans le ciel (on pourra à ce propos relire avec enchantement le magnifique tercet de Heredia placé en exergue), et le dépassement de l’équateur fait disparaître entièrement l’étoile polaire, si chère à notre navigateur : « […] nous avons navigué 9 mois et 27 jours pendant lesquels nous n’avons jamais vu le pôle arctique [l’étoile polaire], ni la Grande ni la Petite Ourse. Tout au contraire, se découvrirent à mes yeux dans la région méridionale, une infinité d’étoiles très lumineuses et très belles, lesquelles sont toujours cachées aux gens du septentrion [du nord]. » (6) L’étoile polaire perdue, la latitude devrait l’être tout autant. Mais l’hémisphère sud, manifestement illuminé par autant d’étoiles que l’hémisphère nord, devrait également contenir une étoile jouissant de la même singularité, une étoile située sur l’axe de rotation de la Terre, immobile dans le ciel, offrant ainsi aux navigateurs la direction du sud et la latitude sud. Malheureusement, une telle singularité n’existe que dans l’hémisphère nord. Certes, il y a dans l’autre hémisphère un point central autour duquel tournent toutes ses étoiles, mais ce point n’est occupé par aucune étoile. Seul un petit groupe d’étoiles, la Croix du sud, gravitent autour de ce point « vide » : « Dans mon désir de vouloir être celui qui a montré l’étoile du firmament de l’autre pôle, j’ai souvent perdu le sommeil la nuit à contempler le mouvement des étoiles de l’autre pôle, afin de montrer quelle était celle qui devait avoir le moins de mouvement et se trouver le plus près du firmament. » (7) L’identification de cette étoile permit ainsi à Vespucci de localiser le firmament, autrement dit le point « vide » dont nous avons parlé : l’étoile du sud imaginaire. Aussi, la mesure de la latitude sud, quoique moins aisée, devint pour notre navigateur aussi précise que celle de la latitude nord.


II- VESPUCCI : UN CAS PART ?

1- Le soleil de Vespucci

On l’aura compris, par ce dernier extrait, Vespucci ne s’intéresse guère à autre chose que l’étoile polaire, qu’elle soit du nord ou du sud. Peu nombreuses, en effet, sont les mentions faites au soleil, excepté pour se flatter d’avoir de solides connaissances scientifiques : « Il faut dire que nous avons tant navigué vers le midi que nous sommes entrés dans la zone torride et dans le cercle du Cancer. Vous devez considérez comme certains, qu’en peu de jours, alors que nous naviguions dans la zone torride, nous avons vu quatre ombres portées du soleil, et quand le soleil se trouvait au zénith, à midi au-dessus de nous, nous n’avions aucune ombre [c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il fait particulièrement chaud près de l’équateur]. Il m’est arrivé très souvent de montrer tout ça à l’équipage et de les prendre à témoin, car ces gens grossiers ne savent pas comment la sphère du soleil va sur le cercle du zodiaque. » (8)
A lire les différentes lettres de Vespucci, il est clair que l’étoile polaire avait, du moins en ce qui le concerne, toute priorité dans la mesure de la latitude. Pourtant, les hommes, les navigateurs en particulier, n’ont sans doute jamais cessé de se repérer par rapport au soleil. En effet, la hauteur de cet astre, bien que le procédé soit assez complexe, permet également de connaître la latitude. Par exemple, si, au solstice d’été / d’hiver, un homme de l’hémisphère nord voit le soleil à midi exactement au-dessus de sa tête (autrement dit, s’il n’y a pas d’ombre), alors il peut en déduire qu’il est situé sur le tropique du Cancer / Capricorne. Et si, aux équinoxes, le soleil à midi est exactement au-dessus de sa tête, c’est qu’il est situé sur l’équateur. (9)
La flèche des schémas suivants représente les rayons du soleil et le petit segment un homme debout ou un bâton planté dans le sol. Etant parallèle aux rayons du soleil, cet homme (ce bâton) n’a aucune ombre.
Le segment horizontal qui partage la Terre en deux hémisphères est l’équateur et l’axe vertical est l’axe de rotation de la Terre.


Une telle méthode pour connaître la latitude a ses limites car la hauteur du soleil à midi varie tout au long de l’année : elle augmente, pour les habitants de l’hémisphère nord, du solstice d’hiver au solstice d’été, puis diminue l’autre période de l’année. Pourtant, elle fut utilisée par les navigateurs de l’époque des Grandes Découvertes, qui disposaient de tables solaires, élaborées au cours de longs siècles d’expérience, sur lesquelles était inscrite la hauteur du soleil selon le jour de l’année et le lieu d’où il est observé. Vespucci, lui, ne fait jamais mention de telles tables pour le calcul de la latitude.

2- La boussole de Vespucci

Pire encore est le sort réservé à la boussole par Vespucci. Après lecture attentive de ses écrits, nous n’avons en effet relevé qu’un seul passage relatif à cet instrument (10), dont on aurait pu penser qu’il occuperait pourtant une place centrale. Pourquoi ?
Peut-être le recours à l’étoile polaire avait-il entièrement évincé l’usage de la boussole ? Pourtant, le recours à l’étoile polaire a lui aussi ses limites, puisqu’elle n’est visible que la nuit, et encore par nuit claire, alors que sa concurrente, l’aiguille aimantée, s’oriente vers le pôle Nord à toute heure du jour ou de la nuit et quelles que soient les conditions météorologiques.
Peut-être alors Vespucci jugeait-il insuffisantes les informations données par la boussole qui n’indique, il est vrai, que la direction du nord, tandis que l’étoile polaire donne non seulement de manière aussi satisfaisante cette même information (sinon mieux puisque le nord de la boussole n’est pas exactement le nord géographique) mais aussi la mesure de la latitude ?
Sans doute enfin une telle hiérarchie se justifie-t-elle tout autrement. Si la boussole n’est mentionnée qu’une seule fois, ce n’est sans doute pas parce qu’elle était devenue désuète. Bien au contraire, c’est parce qu’elle était connue depuis des siècles que notre navigateur n’a pas jugé opportun d’en parler davantage. D’ailleurs, l’unique mention faite à la boussole est, comme souvent à propos du soleil, d’ordre scientifique, pour, encore une fois, se mettre en avant : « Vous me demandez encore comment je me guidais avec la boussole ou avec l’aiguille et non avec l’aimant après que j’ai eu franchi la ligne équinoxiale. Je vous réponds que l’aiguille m’indiquait toujours la tramontane, avec la restriction qu’elle s’orientait vers un quart du mistral et nous nous en sommes rendus compte parce que la queue de l’aiguille indiquait toujours le pôle antarctique même si elle s’orientait vers un quart du sirocco. Nous avons toujours navigué avec la même aiguille. En conclusion l’aimant ne varie pas davantage, que ce soit vers le midi ou vers le septentrion. » (11)

3- Le talent et les ambitions de Vespucci

N’oublions pas en effet quelles étaient ses ambitions : « […] je mets mes espoirs dans la bonté divine, si Dieu veut bien m’accorder encore trois années de vie, pour pouvoir écrire quelque chose qui me fera survivre quelque temps après ma mort, avec l’aide de quelque savant » (12). Il était d’ailleurs en droit de prétendre à la postérité, puisque ses talents de navigateur étaient unanimement reconnus et appréciés, non seulement de ses compagnons de route : « J’avais oublié de t’écrire que du promontoire du cap Vert jusqu’au début de ce continent il y a près de 700 lieues, bien que j’estime que nous avons navigué plus de 1800 lieues, en partie à cause de l’ignorance des lieux et de celle du pilote, en partie à cause des tempêtes et des vents, lesquels nous ont empêchés de suivre un trajet en droite ligne, nous poussant dans une direction, puis dans une autre. Ceci, à tel point que si mes compagnons n’avaient pas eu recours à moi qui savait la cosmographie, il n’y avait ni pilote ni guide de navigation qui, au bout de 500 lieues, ait pu savoir où nous nous trouvions. Nous étions perdus et allions au hasard et les instruments ne nous signalaient véritablement avec exactitude que la hauteur des corps célestes. Ces instruments étaient le quadrant et l’astrolabe, comme chacun sait. C’est pour cette raison que, dès lors, je reçus de grandes marques d’honneur de la part de tous, car je leur avais montré que, même sans disposer d’une carte de navigation, je connaissais la science de la navigation mieux que tous les pilotes au monde, lesquels n’ont pour toute connaissance que celle des lieux où ils ont souvent navigué. » (13), mais également de la cour d’Espagne elle-même, au point qu’il fut nommé piloto mayor, « premier pilote », poste prestigieux spécialement créé pour lui dont la charge consistait à « établir les cartes nautiques destinées aux futures expéditions vers le Nouveau Monde » (14), et instruire les pilotes « des nouvelles méthodes de navigation, basée sur l’observation des astres » (15).


Conclusion :

Nous ne saurions conclure si le soleil et la boussole ont été, à l’époque de Vespucci, évincés, au profit de l’étoile polaire, de l’art de la navigation. En revanche, il semble que l’observation des astres pour la localisation des bateaux et des lieux ait été, sinon révolutionnaire, du moins à la pointe des techniques maritimes de son temps. Si tel n’avait pas été le cas, Vespucci, qui se vantait de savoir naviguer grâce aux astres, n’aurait, semble-t-il, jamais reçu le titre de « piloto mayor ».
Pourtant, – à moins que certains détails de l’histoire des sciences nous aient fait défaut et au risque de commettre quelque anachronisme –, comprendre que la hauteur de l’étoile polaire coïncide avec la latitude ne semble pas digne des plus grandes prouesses intellectuelles. Cette coïncidence est même, comme nous avons pu le voir, une conséquence relativement immédiate de la rotondité de la Terre. Aussi, la maîtrise de la latitude n’était sans doute pas l’apanage du seul Vespucci. Mais alors pourquoi ce navigateur connut-il un tel prestige ? Ses compétences cosmographiques auraient-elle été davantage reconnues pour son calcul de la longitude, dont la difficulté est, il est vrai, d’une toute autre ampleur ? « La longitude est chose plus difficile, car elle ne peut être connue que par celui qui veille beaucoup et qui observe la conjonction de la lune avec les planètes. A cause de ladite longitude, j’ai perdu beaucoup de sommeil et j’ai abrégé ma vie de dix ans. Mais je considère que j’ai bien employé mon temps, car j’espère devenir célèbre pour longtemps, si je reviens en bonne santé de ce voyage. Que Dieu ne considère pas que c’est vanité de ma part, car c’est à son saint service que je dédierai tout mon travail. » (16)
Une quinzaine de lignes de la lettre du 18 juillet 1500, d’une incroyable complexité, portaient précisément sur le calcul de la longitude. Il nous tarde de l’étudier. En-Quêtes à suivre…


Notes :

1- Le Nouveau Monde, Les voyages d’Amerigo Vespucci (1497-1504), Traduction, introduction et notes de Jean-Paul Duviols, Chandeigne, collection Magellane, 2005, page 78.
2- Ibid., page 78.
3- Image extraite de L’Univers, encyclopédie des jeunes, Larousse, 1997.
4- Le Nouveau Monde, page 79 : « […] nous nous éloignâmes en latitude de 60° 30’ de la ville de Cadix, car la ville de Cadix se trouve à 35° 30’ du pôle, et nous nous rendîmes compte que nous avions dépassé de 6° la ligne équinoxiale ». La latitude de Cadix est fausse : elle n’est pas à 35° 30’ du pôle mais de l’équateur. Simple erreur de traduction ou de transcription ? Pourtant, et c’est le plus troublant, cette mesure est cohérente avec le reste du texte. En effet, si l’on considère comme Vespucci que Cadix est à 35° 30’ du pôle, alors elle est à 54° 30’ de l’équateur, puisque 35° 30’ + 54° 30’ = 90° qui est la mesure de l’angle formé par l’équateur, le centre de la Terre et le pôle Nord. Or, si la latitude de Cadix est de 54° 30’ et qu’ils s’en sont éloignés de 60° 30’, alors ils se retrouvent à 6° sous la ligne équinoxiale (54° 30’ – 60° 30’ = – 6°), ce que rapporte justement Vespucci. Pour une simple erreur d’inattention, elle semble bien persistante. Etrange…
5- Le Nouveau Monde, page 108.
6- Ibid., page 108.
7- Ibid., page 78.
8- Ibid., page 78.
9- On pourra relire l’article Soleil d’hiver, dossier Le Soleil, archives En-Quêtes.
10- Le Nouveau Monde, page 126.
11- Ibid., page 126.
12- Ibid., page 127.
13- Ibid., page 136.
14- Ibid., page 36.
15- Ibid., page 37.
16- Ibid., page 97.