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Frankenstein
par Mary Shelley
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"... Le fardeau qui oppressait mon âme s’allégeait
considérablement au fur et à mesure que je m’enfonçais dans les ravins
de l’Arve. Les montagnes et les falaises immenses qui me surplombaient
de tous côtés, le bruit du torrent mugissant entre les roches, et le
vacarme des chutes exprimaient une puissance proche de l’Omnipotence.
Je sentais la peur me quitter et cessai de me courber devant tout être
terrible que le créateur de ces éléments, qui ici se manifestaient sous
leur apparence la plus impressionnante. Pourtant, plus je m’élevais,
plus la vallée prenait un aspect magnifique et stupéfiant. Des châteaux
en ruine perchés au-dessus des précipices sur des montagnes couvertes
de sapins, l’Arve impétueux et des chalets émergeant ci et là d’entre
les arbres composaient un décor d’une beauté singulière. Celle-ci était
encore accentuée et sublimée par les puissantes Alpes, dont les
pyramides et les dômes étincelants dominaient tout, comme si ces
sommets eussent appartenu à quelque planète abritant une autre race
d’êtres. Je franchis le pont de Pélissier, où le ravin formé par la rivière s’ouvrait devant moi et commençai à escalader la montagne le surplombant. J’entrai peu à peu dans la vallée de Chamonix. Celle-ci, quoique plus merveilleuse et sublime, est moins belle et pittoresque que celle de Servoix, que je venais de traverser. Ses limites immédiates étaient les montagnes hautes et neigeuses, mais je n’aperçus plus de châteaux en ruines ni de champs fertiles. Des glaciers énormes s’avançaient jusqu’à la route ; j’entendis le grondement de l’avalanche et vis la fumée qui marquait son passage. Le mont Blanc, le suprême et magnifique mont Blanc, se dressait au milieu des aiguilles, et son dôme démesuré surplombait la vallée..." Frankenstein ou le Prométhée moderne, chap. IX, 1818
mis en ligne le 14 novembre
2011
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