Éditorial

par Carole Cousin


Ami lecteur, prudence : le taux d’hygrométrie est en hausse, le ciel est bas, le temps gris, le nuage impatient. C’est que le onzième numéro de notre revue est consacré au déluge ! …

Que son ouverture coïncide avec celle de ton plus solide, de ton plus grand parapluie car tu ne t’exposes pas à quelques embruns verbaux mais à un véritable déferlement textuel, à des pluies de mots torrentielles, aux flots de nos cataractes d’imprimerie.

Pour éviter la noyade, monte vite à bord de notre arche rédactionnelle. A sa barre, notre vaillant rédacteur en chef, Florent Jobard. Méfie-toi, c’est lui qui depuis le début orchestre la montée des eaux…

Déluges au Proche-Orient, son article, en est la preuve : le 3 décembre 1872, devant la Society of Biblical Archeology de Londres, l’assyriologue G. Smith faisait perdre au déluge biblique sa primauté. De ses emprunts littéraires à son aïeul mésopotamien, on serait tenté de déduire une parenté idéologique entre les deux religions. Suivant les travaux de Jean Bottéro, Florent Jobard montre dans son article que rien n’est plus faux.

Juste derrière, souquant ferme, Claude Bureau, si tu n’y prends garde, te fera traverser l’Atlantique à bord de son article The Deluge dans lequel il se demande si New York, métropole mondiale mais récente, n’aurait pas quelque complicité avec le déluge… Chacun peut légitimement en douter quoique, grattant le ciel depuis plusieurs décennies, elle puisse provoquer une ire céleste bien méritée. Un détour par Coney Island montrera que cette crainte hante l’imaginaire de la ville depuis l’érection des premiers skyscrappers. Cette peur s’est assoupie depuis pour s’oublier devant une tablée bien garnie.

Dans Après nous le déluge, Claude Bureau te convie ensuite à un voyage dans le temps. Sans vouloir révéler les péripéties de ce conte « en costumes et perruques », on y en apprend de bien belles sur les liens qui unissent un peintre à son modèle et sur les témoignages de seconde main. On y dispute ensuite de la difficulté à faire cohabiter dans un espace confiné plusieurs milliers d’espèces et de la sélection d’une famille élue pour un pari sidéral dont le créateur ne désavouerait pas l’incertaine issue.

Voyage toujours, sur des flots littéraires et philosophiques cette fois, avec Daniel Poza Lazaro qui te réserve un article sur Dieu, Voltaire et le Portugal… et beaucoup plus encore ! Ou comment une catastrophe naturelle surgie en plein siècle des « Lumières » donna lieu à une violente querelle au sujet de la Providence ; une âpre dispute à laquelle prirent part les plus grands esprits de l’époque… La Faute et Voltaire, la Faute et Rousseau apparaît donc comme un objet littéraire à l’image de son sujet : à multiples répliques…

Quatrième auteur-rameur, Grégory Hosteins t’emmènera au musée où il te servira de guide pour un ekphrasis, une description de tableau, en l’occurrence une toile de Nicolas De Staël intitulée Les Toits, qui dévoile les jeux d’hallucinations que procurent la contemplation et la confusion de la mer et du ciel.

François Jeannet fait lui aussi voyager le déluge grâce à son article intitulé Sur l’eau. Parti de France avec le tableau inaugural de Nicolas  Poussin, le peintre qui couronne l’âge classique et fait pressentir le paysage romantique, le déluge envahit l’Angleterre avec un peintre peu connu, John Martin, et un plus connu, Turner, pour revenir en France dans les bagages d’un peintre anglais mort dans notre pays, Alfred Sisley.

Enfin, à la poupe de notre canot rédactionnel, Carole Cousin t’accompagnera dans une exploration du thème de la maternité pris sous deux angles diluviens mais radicalement opposés : Le fruit est un poème vital, solaire et sensoriel où la vie naît dans un déluge végétal ; le déluge est à prendre au sens météorologique et crée la toile de fond de son second texte, une nouvelle intitulée Eaux origines, où l’auteure ramène également le cataclysme universel à une échelle individuelle. Pluvieux et dramatique…

Sur la rive, volontairement débarqué de notre canot diluvien, Grégory Hosteins te propose également la première livraison de Sebastian, une nouvelle sur la découverte d’un enfant sauvage dans la cave d’une maison. A suivre…

En prime et pour clore agréablement ce voyage mouvementé, tu trouveras au fond de notre arche, dans les rubriques Évidences et Indices, soigneusement sélectionnés par nos rédacteurs, des images et extraits d’œuvres relatives au déluge : quelques versets de la sourate XI du Coran proposés dans deux traductions différentes, un extrait des Élus d’Alejo Carpentier, de La nouvelle Atlantide de Francis Bacon, l’article de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacré au déluge, un extrait de la Chronique des indiens Guayaki de Pierre Clastres et des extraits du Timée de Platon.

Ballotté sur le flot tumultueux de nos mots, trempé par nos pluies stylistiques, tu as pourtant résisté au mal de mer et à la noyade. Courageux lecteur, sache que notre prochain parcours intertextuel te fera prendre de la hauteur : échappant aux eaux diluviennes, nous nous hisserons vers les sommets à l’occasion du douzième numéro d’En-quêtes consacré, tu l’auras compris, à la montagne. Rejoindras-tu notre cordée ?

Vignette d'illustration du numéro "Le déluge" :
estampe de Jean-Claude Caffin "Arche IV"
(détail)
mis en ligne le 15 février 2011 

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