Chronique des indiens Guayaki

par Pierre Clastres

Le déluge

Quand l'eau rouge, l'eau rouge et grosse se mit à monter, alors, elle emporta d'innombrables Aché. L'eau rouge, la grande eau rouge emportait beaucoup d'Aché. Un homme et sa femme grimpèrent au sommet d'un palmier, au sommet d'un vieux palmier ils grimpèrent. Voyant, de là-haut, que l'eau ne disparaissait pas, ils se mirent à pleurer. Et l'eau continuait à monter. Le flot s'éleva tant qu'il abattit l'arbre et que les deux Aché durent se hisser en haut d'un autre palmier, vieux et solide. Celui-là ne fut pas abattu. Prenant des fruits du palmier, ils les jetèrent en bas : plouf ! L'eau n'avait pas encore disparu. Plus tard, ils recommencèrent à jeter des fruits : poum ! Ils avaient heurté la pierre. Alors, ils purent redescendre. L'eau avait emporté tous les Aché, et ceux-ci s'étaient transformés en capivara. C'est dans l'eau que demeurent, transformés en capivara, les âmes de ces Aché.

Extrait de "Chronique des indiens Guayaki - Les indiens du Paraguay - Une société nomade contre l'État" Pierre Clastres - éditions Plon - collection Terre Humaine.

mis en ligne le 15 février 2011 

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