(20d-20be)
« Prête donc l’oreille, Socrate, à un récit qui, même s’il est
tout à fait étrange, reste absolument vrai, comme l’a affirmé il y a
longtemps le plus sage des sept sages, Solon. Solon avait des liens de
parenté avec Dropide, mon arrière-grand-père, pour lequel il avait en
outre beaucoup d’affection, comme il l’a fait lui-même savoir en maints
endroits de son œuvre poétique. Devant Critias, mon grand-père, il
raconta – récit que celui-ci à son tour dans sa vieillesse me fit en
mémoire- que dans le passé, notre cité accomplit de grands et
admirables exploits, dont le souvenir s’est effacé sous l’effet du
temps et en raison des catastrophes qui ont frappé l’humanité, mais
que, parmi ces exploits, l’un surpassait tous les autres
(22b-22e)
« C’est alors qu’un prêtre dont l’âge était particulièrement
avancé, l’interrompit :
-Solon, Solon, vous autres Grecs êtes toujours des enfants ; vieux, un
Grec ne peut l’être.
Sur ce, Solon s’enquit :
-Que veux-tu dire par là ?
Et le prêtre de répondre :
-Jeunes vous l’êtes par l’âme, car vous n’avez en elle aucune vieille
opinion transmise depuis l’antiquité de bouche à oreille ni aucun
savoir blanchi par le temps.
Voici pourquoi. Bien des fois et de bien des manières, le genre humain
été détruit, et il le sera encore. Les catastrophes les plus
importantes sont dues au feu et à l’eau, mais des milliers d’autres
causes provoquent des catastrophes moins importantes. Prenons par
exemple cette histoire qu’on raconte chez vous. Un jour, Phaéton, le
fils du Soleil attela le char de son père, il mit le feu à ce qui se
trouvait à la surface de la terre et périt lui-même foudroyé. Ce récit
n’est qu’un mythe ; la vérité, la voici. Les corps qui, dans le ciel,
accomplissent une révolution autour de la terre sont soumis à une
variation qui se reproduit à de longs intervalles ; ce qui se trouve à
la surface de la terre est alors détruit par un excès de feu. A ces
moments-là, tous les êtres humains qui sont établis sur des montagnes
et en des lieux élevés ou secs périssent en plus grand nombre que ceux
qui habitent au bord des fleuves ou près de la mer. Nous, c’est le Nil,
notre sauveur en d’autres circonstances qui en cette situation
difficile aussi, nous sauve par sa crue. Quand, en revanche, les dieux,
pour purifier la terre, provoquent un déluge, ce sont les habitants des
montagnes qui sont épargnés, bouviers et pâtres, tandis que ceux qui,
chez vous, habitent dans les cités sont entraînés vers la mer par les
fleuves. Mais dans notre pays, pas plus à ce moment-là qu’à aucun
autre, ce n’est d’en haut que sur nos sillons ruisselle l’eau ; bien au
contraire c’est d’en bas que toujours elle sourd naturellement. De là
vient et par là s’explique, dit-on, que les événements dont le souvenir
est ici conservé remontent à la plus haute Antiquité. Effectivement,
dans tous les lieus où ni un froid excessif ni une chaleur brûlante ne
l’empêche, on trouve toujours des êtres humains, en plus ou moins grand
nombre.
(24e-25b)
« C’est que, en ces temps-là, on pouvait traverser cette mer
lointaine. Une île s’y trouvait en effet devant le détroit qui, selon
votre tradition, est appelée les Colonnes d’Héraclès. Cette île était
plus étendue que la Libye et l’Asie prises ensemble. A partir de cette
île, les navigateurs de cette époque pouvaient atteindre les autres
îles, et de ces îles ils pouvaient passer sur le continent situé en
face, le contient qui entoure complètement cet océan, qui est le
véritable océan. Car par ici, en dedans de ce détroit dont nous
parlons, ce n’est, semble-t-il qu’un port au goulet resserré ; de
l’autre côté, c’est réellement la mer, et la terre qui entoure cette
mer, c’est elle qui mérite véritablement de porter le nom de continent.
Or, dans cette île, l’Atlantide, s’était constitué un empire vaste et
merveilleux, que gouvernaient des rois dont le pouvoir s’étendait non
seulement sur cette île tout entière, mais aussi sur beaucoup d’autres
îles et des parties du continent. En outre, de ce côté-ci du détroit,
ils régnaient encore la Libye jusqu’à l’Egypte, et sur l’Europe jusqu’à
la Tyrrhénie.
A un moment donné, cette puissance concentra toutes ses forces, se jeta
d’un seul coup sur votre pays, sur le nôtre et sur tout le territoire
qui se trouve à l’intérieur du détroit, et elle entreprit de les
réduire en esclavage. C’est alors, Solon, que votre cité révéla sa
puissance aux yeux de tous les hommes, en faisant éclater sa valeur et
sa force ; car, sur toutes les autres, elle l’emportait par la force
d’âme et pour les arts qui interviennent dans la guerre. D’abord, à la
tête des Grecs, puis seule par nécessité, puisque abandonné par les
autres, elle fut exposée à des périls extrêmes, mais elle vainquit les
envahisseurs, dressa un trophée, permit à ceux qui n’avaient jamais été
réduits en esclavage de ne pas l’être, et libéra, sans réticence
aucune, les autres, tous ceux qui, comme habitaient à l’intérieur des
Colonnes d’Héraclès.
Mais dans le temps qui suivit, se produisirent de violents tremblements
de terre et des déluges. En l’espace d’un seul jour et d’une seule nuit
funestes, toute votre armée fut engloutie d’un seul coup sous la terre,
et l’île d’Atlantide s’enfonça pareillement sous la mer...
mis en ligne le 15 février
2011
|