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..."C’était
un tumulte terrifiant de bonds, d’envols, de rampements, de galops, de
bousculades en direction de l’Énorme-Canot. Avant l’aube le ciel devint tout
blanc de volées de hérons. Une masse de rugissements, de mugissements, de coup
de griffes, de trompes, de museaux, de cabrioles, de cambrements, de coups de
cornes ; une masse terrifiante, pressée, qui emportait tout sur son
passage, se glissait dans l’embarcation impossible recouverte par les oiseaux
qui y entraient à tire-d’aile, au milieu de cornes et de bois, de pattes
dressées, de coups de dents lancés en l’air, de morsures inutiles. Puis le sol
pullula des entrelacements de reptiles aquatiques et terrestres, sans qu’il y
manquât les lézards énormes, les lents caméléons et les serpents de petite
taille, ceux qui font de la musique avec la queue, se camouflent en ananas ou
portent sur le corps des bracelets d’ambre et de corail. Jusque bien après midi
on assista à l’arrivée d’animaux qui, comme les chevreuil roux, n’avaient pas
été avertis à temps, celle des tortues, pour lesquelles les voyages étaient
fatigants (...) Sur ce, la Voix-de-l’Auteur-de-Toutes-Choses se fit
entendre : « Ferme tes oreilles » dit-il. A peine Amaliwak avait-il obéi, retentit un coup
de tonnerre si effroyable et prolongé que les animaux de l’Énorme-Canot en
furent assourdis. Alors la pluie se mit à tomber. Mais non une pluie comme
celle que vous connaissez. Pluie de colère de dieux, muraille d’eau en
perpétuel effondrement. (...) Et après une tension, une indécision, une peur
qui obligèrent Amaliwak à boire une jarre entière de chicha de maïs, il
y eut comme un choc sourd. L’Énorme-Canot avait rompu son dernier contact avec
la terre. Il flottait. Et il se précipitait vers un monde de rapides qui
coulaient encore des montagnes, de rapides dont le mugissement continuel
inspirait la terreur au cœur des hommes et des animaux. L’Énorme-Canot
flottait."
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