Introduction : définition et délimitation
du sujet
Jus sanguinis, le droit du sang… formule étrange
et frappante à la fois, notion juridique lourde de symboles
et de sous-entendus…
Que se cache-t-il derrière cette expression ? Non pas une
réglementation quelconque sur les transfusions sanguines
mais bien plutôt un élément majeur du code de
la nationalité, une réponse possible à la question
fondamentale que se sont posées (et continuent de se poser)
les nations modernes : sur quels critères un pays
doit-il attribuer sa nationalité à un individu ?
A cette interrogation, deux réponses principales ont été
apportées aux cours des siècles :
- le droit du sang qui octroie la nationalité à
un individu parce qu’un de ses parents la possède déjà,
- le droit du sol (ou jus solis) qui attribue la
nationalité à un individu né ou vivant sur
le sol du pays concerné.
Bien évidemment, ces dénominations ne sont pas neutres
et derrière elles se cachent des enjeux politiques de premier
ordre, s’affrontent des conceptions idéologiques
de grande importance. Le sang contre le sol, l’image est marquante,
elle sous-tend des antagonismes violents tels que l’inné
contre l’acquis, l’héritage contre l’éducation,
le patrimoine contre le revenu. Pour reprendre l’idée
du démographe Hervé Le Bras, l’évolution
du cadre juridique de la nationalité traduit l’idée
qu’un pays se fait de lui-même.
La formule latine jus sanguinis peut légitimement
faire croire à une origine romaine du droit du sang. Toutefois,
même s’il parait évident que les juristes modernes
sont allés puiser à la source du droit romain pour
élaborer leurs argumentaires, il n’en demeure pas moins
vrai que la généralisation des termes jus sanguinis
et jus solis ne date que des dernières années
du XIXe siècle. De même, le premier usage du terme
« nationalité » dans la langue écrite
française n’apparaît qu’en 1807, sous la
plume de Mme de Staël (on utilise alors l’expression
« qualité de français »).
Ces informations historiques et linguistiques sont utiles car elles
nous permettent de saisir le lien qui unit ces notions avec l’événement
majeur que fut la Révolution Française. Parmi ses
nombreuses conséquences, 1789 a fait émerger l’idée
de Nation souveraine ; à partir du moment où la Nation,
et non plus le roi, détient le pouvoir suprême, où
les citoyens français qui concourent à la nation,
obtiennent des droits comme le droit de vote, il devient capital
de savoir qui est Français et qui ne l’est pas et sur
quels critères se décident l’obtention ou non
de la nationalité.
De fait, et parce que dans le domaine du code de la nationalité
« la France a changé de droit comme aucune autre nation
» (pour reprendre la formule de Patrick Weil), nous recentrerons
l’étude de notre sujet sur l’évolution
du droit du sang en France depuis la Révolution Française.
I/ LE LONG CHEMINEMENT DU DROIT DU SANG EN FRANCE
A/ Une question secondaire sous l’Ancien Régime
?
Au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, on ne définit
pas de façon spécifique la « nationalité
française », il existe cependant un statut des personnes.
Ainsi pour le seigneur, propriétaire du sol, ses sujets sont
ceux qui vivent et habitent sur ses terres, les autres sont appelés
« aubains ». Se substituant au seigneur de l’époque
féodale, le monarque absolu de l’Ancien Régime
considère comme « naturels français » ou
« régnicoles » ceux qui sont nés dans le
royaume. De la sorte, l’attachement au territoire est la notion
dominante. Cette prégnance se vérifie dans les affaires
de succession et d’héritages.
Des arrêts de justice portant sur de telles affaires et concernant
le Parlement de Paris nous renseignent sur l’évolution
de la jurisprudence : l’arrêt du 23 février 1515
fait référence au jus solis – dans le
sens qu’il prendra au XIXe siècle – en reconnaissant
la capacité de succéder à une personne née
en France, indépendamment de l’origine de ses parents,
pour peu que cette personne réside de façon permanente
en France. Quelque temps plus tard, l’idée que «
la qualité de français » se transmet par la filiation
fait des progrès grâce à l’arrêt du
7 septembre 1579 qui permet à une jeune fille née en
Angleterre de deux parents français de leur succéder
à condition toutefois de résider de façon permanente
en France.
Dans les deux cas, la condition fondamentale demeure le fait
de résider dans le royaume de France. En effet, il est le signe
tangible d’une allégeance au roi.
Cependant, les notions de jus solis et de jus sanguinis
se précisent au fil du temps, les juristes allant puiser dans
le droit romain des éléments susceptibles de valider
leur théorie, il en est ainsi de la notion romaine
de « droit d’origine » qui rendait possible
sous l’Antiquité la transmission de la citoyenneté
à sa descendance indépendamment du lieu d’origine.
Cette notion a été reprise par les juristes du XVIIIe
siècle pour légitimer la transmission de la qualité
de français par filiation, ce qui allait devenir le jus
sanguinis au siècle suivant.
B/ 1789 ou la première définition du «
Français »
Même si les questions touchant à la « qualité
de Français » ne figurent pas parmi les priorités
de l’Assemblée, la nationalité est cependant
définie dans la Constitution de Septembre 1791, les
principales dispositions sont les suivantes : « sont
citoyens français ceux qui sont nés d’un père
français ; ceux qui nés d’un père étranger
ont fixé leur résidence dans le royaume ; ceux qui nés
à l’étranger d’un père français
viennent se fixer en France après avoir prêté
le serment civique ».
Cette conception ouverte des critères d’attribution est
renforcée par une pratique originale : l’octroi de la
qualité de français à titre exceptionnel pour
des étrangers « qui par leurs sentiments, leurs écrits
et leur courage s’en sont montrés dignes » pour
reprendre un passage du décret du 26 août 1792. Cette
citoyenneté d’honneur concernera des personnalités
américaines comme Georges Washington ou l’écrivain
Thomas Payne. Ce dernier sera même élu à la Convention
avant d’en être exclu un an plus tard sous la Terreur,
période pendant laquelle l’étranger est regardé
avec davantage de suspicion.
D’une façon générale, la période
révolutionnaire prolonge la primauté du principe territorial
pour l’obtention de la qualité de français (on
est français si on est né en France ou si on y réside).
Ce principe va rapidement être remis en cause par le Code Civil…
C/ 1803 ou le triomphe du jus sanguinis
Dès le lendemain du coup d’Etat de Brumaire, des divisions
sont visibles au moment de rédiger la Constitution du nouveau
régime, le Consulat. Emmanuel Sieyès, premier inspirateur
de la nouvelle Constitution propose de définir le Français
par le jus sanguinis mais Bonaparte obtient que soient reprises
les dispositions de la Constitution précédente.
Cependant, le débat est loin d’être clos et il
s’ouvre de nouveau avec le travail d’élaboration
d’un Code civil. La commission, chargée de rédiger
un nouveau projet, est présidée par Tronchet,
un juriste modéré, ancien avocat de Louis XVI, qui bien
vite se révèle, lui aussi, un partisan d’une application
stricte et exclusive du jus sanguinis. Son point
de vue s’oppose à celui de Bonaparte
qui dans une première version du texte parvient à conforter
son point de vue (« tout individu né en France
est Français »).
D’où viennent ces divergences ? De deux visions distinctes
de la « nationalité »…
Tronchet, qui fut longtemps avocat sous l’Ancien Régime
a souvent plaidé en faveur du jus sanguinis pour des
clients nés à l’étranger de parents français
qui se voyaient contester la qualité de Français. Convaincu,
par sa pratique, de l’importance du lien de filiation pour la
transmission de la qualité de Français, il considère
en outre que le droit du sang est directement inspiré du droit
romain dont le prestige est grand chez les juristes. En revanche,
Bonaparte privilégie les intérêts de l’Etat
et souhaite que ce dernier reconnaisse tous ceux qui ont un lien avec
la France dès leur naissance, par l’ascendance ou le
territoire ; pour cette raison, il souhaite conserver le jus solis
en considérant comme Français dès la naissance
les enfants d’étrangers nés en France. Cette vision
plus ouverte n’est pas exempte de pragmatisme, Bonaparte ne
perdant jamais de vue les problèmes de conscription…
Le projet de Code civil passe devant le Tribunat entre frimaire et
nivôse de l’an X (novembre 1801/ Janvier 1802). Parmi
les nombreuses critiques émises à propos du texte figure
l’attribution de la qualité de Français par la
simple naissance en France, le tribun Siméon s’en fait
l’écho quand il affirme : « le fils d’un
Anglais peut devenir Français ; mais le sera-t-il par cela
seul que sa mère, traversant la France, l’aura mis à
jour sur cette terre étrangère ? La patrie dépendra
moins de l’affection qui y attache… que des hasards de
la naissance…En Angleterre, tout enfant qui y naît est
généralement sujet du roi…Cela se ressent de la
féodalité, cela n’est point à imiter ».
En refusant l’attribution de la qualité de Français
à l’enfant d’un étranger sans qu’il
en ait exprimé la volonté, le Tribunat s’oppose
au jus solis en usant d’arguments différents
de ceux de Tronchet : il s’agit de rompre avec l’approche
féodale et monarchique en faisant de la nation la
source unique de la nationalité. La nation est comme
une famille et la nationalité se transmet par filiation comme
le nom de famille…
Tronchet va profiter du rejet du projet de Code civil par le Tribunat
pour obtenir gain de cause. Un nouveau Tribunat en partie renouvelé
(c'est-à-dire expurgé des principaux opposants à
Bonaparte) et de fait plus docile approuve l’ensemble des 37
projets de lois que constitue le Code civil en modifiant légèrement
certains points, notamment en matière de nationalité,
en reprenant les propositions de Tronchet dans ce domaine.
Ainsi donc, la version définitive du Code civil relative à
la jouissance des droits civils institue le jus sanguinis
comme critère exclusif d’attribution de la nationalité
française à la naissance.
C’est une révolution durable qui aura une grande influence
dans le reste de l’Europe.
Pour les enfants nés en France de parents étrangers,
la loi prévoit la possibilité de réclamer la
qualité de français dans l’année
qui suivra l’époque de la majorité,
pourvu que l’individu résidant en France déclare
son intention d’y fixer son domicile.
II/ JUS SANGUINIS VERSUS JUS SOLIS (DU CODE CIVIL
A NOS JOURS)
A/ le XIXe siècle ou le retour en force du jus
solis
Le caractère exclusif du jus sanguinis
va être remis en cause en France moins pour
des raisons idéologiques que pour des raisons pratiques.
Comme nous l’avons dit ci-dessus, le Code civil laissait la
possibilité aux personnes nées en France de parents
étrangers de solliciter la nationalité française
dans l’année suivant leur majorité. Or, à
cause de la conscription, personne ne sollicite cette possibilité.
Au début du XIXe siècle, depuis la loi Gouvion
Saint-Cyr de 1818, les conditions de la conscription sont
sévères : création d’un contingent de 40.000
hommes pour un service actif de 6 ans (les chiffres monteront même
jusqu’à 60.000 hommes et 8 ans), « remplissage
» du contingent par tirage au sort avec possibilité de
se soustraire à l’obligation en payant quelqu’un
pour se faire remplacer. En demandant la nationalité
française, le jeune étranger peut être ensuite
touché par la conscription, en ne la demandant pas, il ne court
plus aucun risque.
Bien vite, des hommes politiques s’émeuvent de ce qu’ils
considèrent « un privilège inacceptable
». Cependant, la modification de la loi n’interviendra
qu’en 1851. Plusieurs scrupules expliquent cette relative lenteur
: d’une part, on ne souhaite pas toucher au Code civil à
une époque où ce dernier est devenu un modèle
juridique dans toute l’Europe (à l’exception de
l’Angleterre, du Danemark et du Portugal, les Etats du vieux
continent ont adopté le jus sanguinis) ; d’autre
part, on craint en imposant la nationalité française
à des personnes ne la souhaitant pas, des représailles
à l’étranger à l’encontre des Français
nés hors de l’hexagone.
Malgré tout, par la loi du 7 février 1851,
la France met en place une innovation juridique originale dite du
« double droit du sol » (ou double jus solis)
: désormais, l’individu né en France d’un
père étranger lui-même né en France est
Français dès la naissance. Cependant, il garde la possibilité,
à sa majorité, de répudier cette
nationalité française s’il le souhaite. Bien évidemment,
toujours dans le but d’éviter la conscription, de nombreuses
personnes opteront pour cette possibilité de répudiation.
Aussi, par la loi du 26 juin 1889, la France supprimera cette possibilité.
De plus, dans la même loi, l’enfant né
en France de parents qui ne le sont pas devient français automatiquement
à sa majorité. Cette dernière mesure
qui introduit le droit du sol à la majorité est motivée
par des préoccupations d’ordre démographique (en
plus des raisons militaires). Au cours du siècle, la
France est devenue un pays malthusianiste et d’immigration.
En effet, la croissance démographique a fortement ralenti et
le nombre d’immigrés a considérablement augmenté
(de 600.000 à 1,2 million entre 1876 et 1886).
Ainsi, on assiste à un usage républicain du
droit du sol dans un contexte particulier de préparation
à la revanche contre l’Allemagne (la France a perdu contre
la Prusse en 1870 et le service national est devenu universel en 1872)
et d’immigration massive. On fonde la nationalité sur
l’idée de socialisation (l’enfant d’étranger
vit en France, parle français, va à l’école
en France) plus que sur un acte volontaire et contractuel.
B/ les vicissitudes du code de la nationalité au XXe
siècle
a) des préoccupations démographiques persistantes
Au XXe siècle, les préoccupations démographiques
demeurent.
De fait, les considérations « populationnistes »
et les législations libérales dominent. Dans la mesure
où la seule transmission de la nationalité par filiation
ne suffit pas à rendre dynamique la population française,
on tente d’augmenter le nombre de Français par d’autres
moyens. Ainsi, la loi de 1927 est fort significative
qui s’appuie à la fois sur le jus solis, la
naturalisation et le mariage : un enfant d’étranger
peut devenir français avant la majorité par simple déclaration,
un étranger peut solliciter une demande de naturalisation après
trois ans de séjour et non plus dix, enfin, on décide
que les femmes françaises se mariant avec un étranger
ne perdront plus la nationalité française.
b) l’épisode de Vichy
Avec Vichy, les choses changent.
Dès 1940, des lois touchent au statut juridique des
personnes ; en juillet, une première loi permet de
déchoir de la nationalité française
les opposants au nouveau régime (cette mesure touche des personnalités
comme de Gaulle, Leclerc, ou encore Mendès France), une seconde
loi donne la possibilité de réviser toutes les
naturalisations effectuées depuis 1927 (15.000 dénaturalisations
seront ordonnées par Vichy) : dans les deux cas, Vichy s’inspire
de la législation nazie de 1933… En octobre, un
statut des juifs est instauré qui a, parmi ses nombreuses
conséquences, l’effet de ramener du statut de citoyen
à l’état de sujet 110.000 juifs d’Algérie
(abrogation du décret Crémieux).
En outre, le régime de Vichy ambitionne de mettre sur pied
une grande réforme du code de la nationalité. Des tiraillements
opposent un courant « raciste » à
un autre « restrictionniste ». Les premiers
s’appuient sur des critères raciaux et religieux pour
octroyer la nationalité française dans une optique de
« régénération de la nation », les
seconds s’en tiennent à une rectification et à
un durcissement des conditions de naturalisation.
C’est le second courant qui s’impose dans le projet
de loi de 1943 (retour à dix ans de séjour
pour faire une demande de naturalisation, possession d’une autorisation
de séjour de trois ans au moins pour les enfants d’étrangers
nés en France pour devenir français, possibilité
pour le Garde des Sceaux de rejeter toute demande sur avis du Conseil
d’Etat). Toutefois, ce projet est refusé par
les autorités allemandes qui lui reprochent de conserver
trop d’éléments du jus solis et de ne
pas clairement enlever aux populations juives immigrées la
possibilité de se faire naturaliser : « Le
texte ne rompt pas avec la tradition qui vise par le biais du droit
du sol à intégrer une population immigrée pour
renforcer une population française défaillante
» notera même un expert allemand…
c) 1945 et le nouveau code de la nationalité
A la Libération, un nouveau code de la nationalité est
élaboré qui reprend les grands principes de la Troisième
République tout en innovant sur certains points. Ainsi, désormais,
l’enfant né d’une mère française
est français même s’il est né à l’étranger.
Cet élargissement du jus sanguinis à la mère
montre à la fois les premiers jalons vers l’égal
traitement des deux sexes dans le domaine de la nationalité
mais également la permanence des courants populationnistes
qui recherchent les moyens les plus divers pour augmenter la population
du pays.
La question prend une autre tournure au début des années
1980, dans un contexte bien particulier. Le regroupement familial
modifie la composition de l’immigration maghrébine et
le Front National fait son apparition sur la scène électorale
en obtenant 11% des voix aux élections européennes.
La question de l’immigration devient centrale dans les rangs
d’une partie de la Droite qui relie ce sujet avec celui de l’identité
nationale française. Des idées circulent qui
visent à supprimer le jus solis pour les enfants nés
en France de parents étrangers pour le remplacer par un acte
volontaire sous condition de « bonne intégration ».
Dans une première version d’un projet de loi du gouvernement
Chirac en 1986, le droit du sol était retiré pour les
enfants nés en France de parents étrangers au profit
d’une demande de naturalisation. Ce projet ne verra pas le jour
mais le débat n’est pas clos pour autant. Pour lui donner
de la hauteur, une commission de sages est instituée pour réfléchir
à ces questions (commission Marceau Long). Dans son rapport,
elle conseille le maintien du droit du sol mais conseille également
l’ajout d’une manifestation de volonté.
Cette idée est critiquée par une organisation comme
« S.O.S Racisme » qui la considère comme discriminatoire
et se montre partisane d’un droit du sol intégral (tout
enfant né en France est Français). La manifestation
de volonté est intégrée dans
le projet de loi de 1993 (gouvernement Balladur) avant d’être
supprimée cinq ans plus tard par la loi Guigou (gouvernement
Jospin).
C/ La situation actuelle à l’aube du XXIe siècle
Le code de la nationalité intègre plusieurs critères
d’attribution de la nationalité française.
- En premier lieu, le droit du sang, contenu dans
le Code civil depuis 1803 et qui concerne 90% des français
(« est français l’enfant dont l’un des parents
est français »).
- Le droit du sol ne s’exerce pas à
la naissance (exception faite des enfants inconnus trouvés
en France et des enfants d’apatrides) mais à la majorité,
de façon automatique, pour les enfants nés en France
de parents étrangers (l’obtention peut être avancée
à 16 ou même 13 ans en suivant certaines démarches).
- Le mariage peut entraîner l’obtention
de la nationalité française par une déclaration
auprès du tribunal d’instance après un an de mariage.
- Enfin, la naturalisation est une démarche
individuelle d’une personne étrangère vivant au
moins depuis cinq ans en France. Cette demande est déposée
en Préfecture et doit répondre à certains critères.
Le dossier est étudié, rejeté ou accepté.
Dans le denier cas, un décret est pris par le Premier Ministre
qui est publié au Journal Officiel.
En guise de conclusion : une remise en cause de certains clichés
En deux siècles, le code de la nationalité a connu en
France une histoire particulièrement mouvementée
faite d’hésitations, d’avancées, de reculs,
de grands principes et d’intérêts pratiques. A
chaque fois, les conceptions nationales et les impératifs sociaux,
démographiques et militaires sont entrés en compte et
souvent au profit des seconds.
Cette complexité invite donc à relativiser certaines
idées qui font par exemple de la France, l’une
des patries du « droit du sol ». En réalité,
si la France a été un modèle européen
au XIXe siècle, c’est pour l’introduction du «
droit du sang » dans le Code civil. Le ralliement au «
droit du sol » n’est survenue qu’en 1889, motivée
en grande partie par des préoccupations démographiques
et militaires.
Cette idée d’une France « patrie du droit
du sol » s’explique par la propension de ce pays
à se comparer avec son voisin allemand.
Des débats intenses ont opposé les
penseurs français (comme Renan et Fustel de Coulanges) et les
penseurs allemands au sujet de l’Alsace-Lorraine
que l’Allemagne venait d’annexer en 1871. Les seconds
justifiaient les revendications territoriales en des termes
ethnoculturels (langue, traditions, mode de vie), les premiers
ripostaient avec des arguments politiques et subjectivistes
basés sur la volonté des habitants («
Les Alsaciens sont Français parce qu’ils veulent l’être
»). Bien évidemment, ces conceptions divergentes étaient
motivées par des évolutions historiques fort distinctes.
En France, la Nation s’est
construite dans le cadre institutionnel et territorial de
l’Etat : l’école, l’armée,
l’administration, les transports, etc., ont permis de rattacher
des régions aussi différentes culturellement que la
Bretagne ou le Pays Basque. En revanche, en Allemagne,
la Nation se conçoit comme une communauté organique
de culture, de langue et de race, où le sentiment
national est antérieur à l’Etat Nation (pour simplifier,
dans le cas français c’est l’Etat qui précède
la Nation ; dans le cas allemand c’est l’inverse…).
Cette opposition irréductible de l’idée nationale
s’est répercutée sur le code de la nationalité
mais dans des proportions moindres qu’on ne pourrait le croire.
Au milieu du XIXe siècle, la Prusse a adopté le jus
sanguinis sur le modèle français mais
au cours des décennies suivantes, l’Allemagne
lui a maintenu sa préférence sans recourir au jus
solis.
En effet, à la fin du XIXe, l’Allemagne est devenu un
pays à la démographie dynamique et surtout un pays d’émigration
: 3,5 millions d’Allemands vivent à l’étranger
en 1910. Ainsi, le maintien du jus sanguinis permet aux allemands
immigrés à l’étranger de transmettre leur
nationalité à leurs enfants. Bien évidemment,
les lois nazies des années 1930 vont renforcer cette idée
d’une approche raciale de la nationalité chez les Allemands.
La convergence des législations entre les deux pays est récente,
elle date des années 1990 quand l’Allemagne,
enfin réunifiée et devenue désormais une terre
d’immigration, a décidé d’introduire
le droit du sol dans son code de la nationalité en 2000.
Cette convergence des législations qui tend à faire
coexister jus sanguinis et jus solis s’inscrit
désormais à l’échelle européenne.
Sommes-nous pour autant à l’abri de nos jours de nouvelles
polémiques sur le code de la nationalité ?
Il serait bien prétentieux de l’affirmer. Même
si la création d’une citoyenneté européenne
a pour la première fois dissociée la citoyenneté
et la nationalité (des étrangers résidant en
France et membres d’un des pays de L’Union Européenne
peuvent voter à certaines élections françaises),
la question des identités nationales demeure encore sensible
au sein de l’Union européenne…
Bibliographie :
La source principale de cet article est l’ouvrage de Patrick
Weil « Qu’est-ce qu’être Français
? » (Histoire de la nationalité française
depuis la Révolution) Grasset, 2002.
D’autres ouvrages ont également été consultés,
parmi lesquels :
Rogers Brubaker : Citoyenneté et nationalité
en France et en Allemagne, Belin, 1997,
Patrick Courbe : Le nouveau droit de la nationalité,
Dalloz, 1993,
Christophe Daadouch : Le droit de la nationalité,
M.B Edition, 2002,
Catherine Wihtol de Wenden : La citoyenneté européenne,
Presse de Sciences Po, 1997.
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