INRODUCTION
: LE CALENDRIER, DE L'ORDRE COSMIQUE A L'ORDRE SOCIAL
Les premiers calendriers mis en place par les hommes ont eu pour finalité
de mesurer le temps. En effet, connaître les régularités
naturelles (comme le cycle des marées ou les alternances des
saisons) est rapidement apparu nécessaire et vital aux premières
communautés humaines (pour l'évolution historique des
outils de mesure du temps, on se reportera avec intérêt
à l'article de Laurent Malonda dans le numéro Le temps
de la revue En-Quêtes).
De cette première finalité, en découle rapidement
une seconde : le calendrier ne mesure pas seulement le temps, il rythme
les activités humaines et les coordonne. Très rapidement
donc, le calendrier est apparu comme un outil pour vivre en société,
capable de créer un temps social différent du temps cosmique,
ponctué par des jours de travail et des jours fériés
distincts d'une tradition à l'autre et de fait porteur d'identité.
Instrument scientifique qui se veut le plus objectif possible quand
il s'agit de mesurer précisément une durée par
l'observation des phénomènes célestes, le calendrier
est aussi un outil politique, c'est-à-dire un outil de pouvoir,
quand il s'agit d'imposer un cadre de vie et un ordre social fixés
par une vision du monde et certaines croyances religieuses. Time is
money dit le proverbe ; sans doute, mais nous pourrions également
ajouter Time is power...
En effet, de la manipulation des mois intercalaires dans le calendrier
romain de la part des pontifes aux répugnances de certaines églises
chrétiennes à adopter le calendrier grégorien parce
qu'il était le fait du pape en passant par l'acculturation chrétienne
de fêtes païennes, les exemples tirés de l'Histoire
sont nombreux qui accréditent l'idée du calendrier comme
arme politique.
Par sa radicalité et son ambition extrêmes, par la modestie
de sa durée et par la netteté de son échec, un
calendrier mérite tout particulièrement notre attention...
Il s'agit du calendrier républicain, appelé aussi calendrier
révolutionnaire, qui de 1793 à 1805 se substitua au calendrier
traditionnel.
I- LE POURQUOI ET LE COMMENT D'UN NOUVEAU CALENDRIER
Les contemporains de la Révolution Française, qu'ils en
soient les laudateurs ou les adversaires, ont tous éprouvé
le sentiment d'entrer dans une ère nouvelle, au point de taxer
" d'ancien régime " la période précédente.
Pour certains révolutionnaires, et tout particulièrement
sous la période de la Terreur, changer les lois pour modifier
l'ordre social ne suffisait pas. Pour bâtir un " homme nouveau
" et une société nouvelle, détruire les traces
symboliques d'un passé honni devenait une impérieuse nécessité.
De même que le nouveau découpage de l'espace (les départements)
et les nouvelles unités de mesures (le mètre, le litre
et le gramme) devaient simplifier et uniformiser des pratiques diverses
et complexes ; de même, instituer un nouveau calendrier répondait
à la triple finalité de rationalisation, de remise en
cause de la tradition chrétienne française et d'instauration
d'un cadre de vie et de fêtes pour la nouvelle société.
Comme le rappelle l'historienne Mona Ozouf (cf. Bibliographie), "
le calendrier neuf a d'abord été une pratique avant d'être
une institution ". En effet, dès le lendemain de la prise
de la Bastille, l'idée de dater les événements
à compter de ce jour glorieux semble s'imposer à certains.
Cependant, les députés hésitent à faire
démarrer l'an I de la liberté au 14 juillet 1789 et préfèrent
pour ne pas se couper du reste de l'Europe adopter le 1 janvier. La
situation se complique avec le 10 août 1792 (date de la prise
du château des Tuileries et de la chute de la monarchie) qui marque
pour certains l'an I de l'égalité puis avec le 21 septembre
(proclamation de la République). La cohabitation d'un an IV de
la liberté avec un an I de l'égalité rend les choses
délicates et amène un journal comme le Moniteur à
porter les deux dates.
Ces difficultés rendent nécessaire une mise au point.
De fait, à la fin de l'année 1792, la Convention charge
son Comité d'instruction publique de lui soumettre rapidement
un projet sur " les avantages que doit apporter à la France
l'accord de l'ère vulgaire avec l'ère républicaine
". Le Comité (au sein duquel on trouve le poète Chénier
ainsi que les savants Monge et Lakanal) dépassera largement son
cahier des charges. En effet, au bout de neuf mois de réflexion,
il proposera un tout nouveau calendrier conçu par ses soins.
Le membre le plus actif de la commission de réforme, Gilbert
Romme, présente le projet à la Convention qui le vote
le 5 octobre 1793 mais rejette sa nomenclature. Au projet de Romme de
remplacer le martyrologe des saints chrétiens par un récit
des événements révolutionnaires (mois de la Bastille,
du Peuple, de la République, de la Montagne, etc.) se substitue
bientôt le calendrier agricole de Fabre d'Eglantine (l'auteur
de la comptine Il pleut, il pleut, bergère...).
Malgré leurs divergences (la Nature ou l'Histoire ?) les deux
hommes expriment clairement dans leur propos les ambitions du projet.
Au premier qui affirme : " le temps ouvre un nouveau livre à
l'histoire, et dans sa marche nouvelle, majestueuse et simple comme
l'égalité, il doit graver d'un burin neuf les annales
de la France régénérée " répond
le second qui proclame : " nous ne pouvons plus compter les années
où les rois nous opprimaient comme un temps où nous avons
vécu ".
II- A QUOI RESSEMBLE LE CALENDRIER REVOLUTIONNAIRE ?
Dans ce nouveau calendrier, l'année est composée de douze
mois de trente jours. Chaque mois est lui-même divisé en
trois décades, période de dix jours qui se substitue à
la semaine.
Ce choix de la dizaine répond à la double finalité
de rationalisation et déchristianisation : elle renvoie aux doigts
de l'homme et non plus aux sept jours du récit de la création
biblique du monde. A ces 360 jours, sont ajoutés cinq ou six
journées complémentaires nommées " sans-culottides
". De plus, pour se distinguer du calendrier chrétien les
fêtes mobiles sont bannies et les jours chômés ramenés
de 56 à 32 jours.
Les mois ont de nouveaux noms par l'intermédiaire desquels, pour
reprendre la formule enthousiaste de Michelet, " la nature elle-même,
dans la langue charmante de ses fruits, de ses fleurs, dans les bienfaisantes
révélations de ses dons maternels, nomme les phases de
l'année ". Les premiers mois se nomment vendémiaire,
brumaire et frimaire, ils renvoient respectivement aux vendanges, aux
brumes et aux frimas et correspondent aux mois d'automne. Ils sont suivis
par nivôse, pluviôse et ventôse (neiges, pluies et
vents) auxquels succèdent germinal, floréal, prairial
(germination, floraison et prairies) et enfin messidor, thermidor et
fructidor (moissons, chaleur et fruit).
Dans chaque décade les jours sont appelés primidi, duodi,
tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi et décadi.
En lieu et place d'un nom de saint, chaque décadi reçoit
un nom d'un instrument aratoire, chaque quintidi celui d'un animal,
le reste des jours de la décade se voit attribuer des termes
bucoliques pris dans le vocabulaire des fleurs, des arbres, des plantes
ou des fruits et légumes (les noms des héros révolutionnaires
sont absents, seules des vertus morales ont été conservées
et placées aux " sans culottides ").
Ce qui donne, de façon concrète, pour les dix premiers
jours du mois de germinal le tableau suivant :
Germinal
(7e mois) : 1ère décade |
Primidi |
1 |
Primevère |
Duodi |
2 |
Platane |
Tridi |
3 |
Asperges |
Quartidi |
4 |
Tulipe |
Quintidi |
5 |
Poule |
Sextidi |
6 |
Blette |
Septidi |
7 |
Bouleau |
Octidi |
8 |
Jonquille |
Nonidi |
9 |
Aulne |
Décadi |
10 |
Couvoir |
Enfin, l'an I du calendrier révolutionnaire débute
le 22 septembre 1792, jour fondateur qui correspond à la proclamation
de la Ière République et qui de surcroît se trouve
être celui de l'équinoxe d'automne. Cette heureuse coïncidence
apparaît comme un heureux présage pour les révolutionnaires
; de même que l'équinoxe marque l'égalité
du jour et de la nuit, de même, le nouveau calendrier doit symboliser
l'entrée dans une nouvelle ère : celle de l'égalité
entre les citoyens...
III- LES RAISONS D'UN ECHEC...
Institué en pleine période de " Terreur ", le
calendrier survit à la chute de Robespierre malgré de
nombreuses critiques. Des pétitions sont envoyées aux
députés qui demandent sa suppression pure et simple. Curieusement,
alors que les autres symboles de la période précédente
sont mis au rencard (culte de l'être suprême, bonnet phrygien,
tutoiement, buste de Marat...), le principe du calendrier républicain
est défendu et conservé pour la simple raison qu'abandonner
ce calendrier reviendrait à admettre la réversibilité
des événements révolutionnaires, idée inacceptable
pour une assemblée régicide.
Cependant, si le calendrier républicain réussit à
traverser les années du Directoire et du Consulat, il ne parvient
pas à s'imposer dans les mœurs et se heurte à la
résistance de la population française qui répugne
à prendre de nouvelles habitudes. Des mesures incitatives et
coercitives sont pourtant mises en place : des arrêtés
demandent aux journalistes da dater leurs périodiques "
républicainement ", aux faiseurs de baux de désigner
les périodes d'entrée en jouissance selon " l'annuaire
de la liberté ".
L'échec le plus symbolique demeure l'incapacité du décadi
à remplacer le dimanche malgré la floraison d'idées
visant à lui donner un contenu solennel et séduisant :
fixer la publication des naissances et des mariages ou des commémorations
communales (avec guinguettes, fêtes et danses). Rien n'y fait,
les administrateurs révolutionnaires sont obligés de constater
le refus de la France paysanne d'abandonner le dimanche, les fêtes
traditionnelles comme les feux de la Saint-Jean ou les fêtes patronales.
Le calendrier républicain se heurte donc à un double obstacle
: un calendrier liturgique et chrétien ancré dans une
tradition séculaire (Noël, Pâques, Toussaint, Carême)
mais aussi un calendrier populaire, " immémorial ",
à la vitalité intacte, marqué par la plantation
de mai ou le carnaval.
La disparition du calendrier va se réaliser en plusieurs temps.
Les fêtes révolutionnaires qui devaient ponctuer le nouveau
calendrier, comme la prise de la Bastille ou la chute de la monarchie,
tombent rapidement en désuétude : elles sont même
supprimées en l'an VIII. Le dimanche redevient le jour de repos
au moment du Concordat*, ce qui redonne à la semaine son existence
légal. Enfin, le 15 fructidor an XIII (soit le 9 septembre 1805),
le calendrier est officiellement supprimé par Napoléon
Ier, quelques mois après son sacre, au nom d'un caractère
trop national et pas assez universel...
CONCLUSION : LE CALENDRIER REPUBLICAIN A-T-IL LAISSE DES TRACES
?
Au XIXe siècle, à une époque où le souvenir
de la Révolution française est encore vif et où
la croyance au progrès demeure intacte, l'idée d'un calendrier
nouveau est encore à l'ordre du jour. Les critiques contre les
inconvénients du calendrier grégorien sont récurrentes
(division de l'année inégale, fêtes mobiles d'une
année sur l'autre, etc.) et les projets de calendrier universel
sont nombreux.
Le meilleur exemple demeure celui d'Auguste Comte. En 1849, ce dernier
propose un calendrier " positiviste " de 13 mois de 28 jours,
comportant 4 semaines, doté à la fin de l'année
d'un ou deux jours blancs, hors semaine. Il imagine un calendrier placé
sous le patronage des grands esprits de l'humanité, de façon
chronologique, débutant avec Moïse et se poursuivant au
fils des mois avec Aristote, Charlemagne, Shakespeare ou Descartes.
Ce dernier, à la tête du onzième mois, mois de la
philosophie moderne, possède en son sein des jours dédiés
à Spinoza, Hobbes, Pascal, Locke, Montesquieu ou encore Diderot...
L'influence du calendrier républicain sur celui d'Auguste Comte
est nette ; elle s'estompe au fil des années, à mesure
que d'autres projets de calendrier universel voient le jour, jusque
vers 1930, sans qu'un seul ne soit appliqué de façon concrète.
Désormais, cette idée de calendrier universel semble définitivement
abandonnée.
Avec le recul, de fait, le calendrier républicain nous paraît
incroyablement ambitieux et utopique. De plus, imposé lors de
la période la plus violente de l'expérience révolutionnaire,
ce calendrier a parfois été stigmatisé comme le
symbole des dérives montagnardes (volonté de faire table
rase, entreprise de déchristianisation). Nous en gardons, en
effet, que peu de traces si ce n'est certains événements
marquants de la fin du XVIIIe, appris au cours de notre scolarité
(comme la chute de Robespierre le 9 thermidor an II et le coup d'Etat
de Napoléon Bonaparte, le 18 Brumaire an VIII), quelques titres
de film (comme " les mariés de l'an II ") ou quelques
formules journalistiques destinées à souligner un anniversaire
(comme " l'an II du PACS " ou " l'an II du gouvernement
Raffarin "). Peu de choses, en somme...
Bibliographie :
- BACZKO Bronislaw, Le calendrier républicain in Les lieux de
mémoire T.1.
- (de) BOURBOING Jacqueline, Le calendrier, maître du temps ?,
Découverte Gallimard, n°400, 2000.
- FURET François et OZOUF Mona, Dictionnaire critique de la Révolution
française (institutions et créations).
- SAVOIE Denis, article calendrier in Encyclopaedia universalis.
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