Le soleil-Archives

Trop révolutionnaire le calendrier républicain ?
par Daniel Poza-Lazaro

 


INRODUCTION : LE CALENDRIER, DE L'ORDRE COSMIQUE A L'ORDRE SOCIAL


Les premiers calendriers mis en place par les hommes ont eu pour finalité de mesurer le temps. En effet, connaître les régularités naturelles (comme le cycle des marées ou les alternances des saisons) est rapidement apparu nécessaire et vital aux premières communautés humaines (pour l'évolution historique des outils de mesure du temps, on se reportera avec intérêt à l'article de Laurent Malonda dans le numéro Le temps de la revue En-Quêtes).
De cette première finalité, en découle rapidement une seconde : le calendrier ne mesure pas seulement le temps, il rythme les activités humaines et les coordonne. Très rapidement donc, le calendrier est apparu comme un outil pour vivre en société, capable de créer un temps social différent du temps cosmique, ponctué par des jours de travail et des jours fériés distincts d'une tradition à l'autre et de fait porteur d'identité.
Instrument scientifique qui se veut le plus objectif possible quand il s'agit de mesurer précisément une durée par l'observation des phénomènes célestes, le calendrier est aussi un outil politique, c'est-à-dire un outil de pouvoir, quand il s'agit d'imposer un cadre de vie et un ordre social fixés par une vision du monde et certaines croyances religieuses. Time is money dit le proverbe ; sans doute, mais nous pourrions également ajouter Time is power...
En effet, de la manipulation des mois intercalaires dans le calendrier romain de la part des pontifes aux répugnances de certaines églises chrétiennes à adopter le calendrier grégorien parce qu'il était le fait du pape en passant par l'acculturation chrétienne de fêtes païennes, les exemples tirés de l'Histoire sont nombreux qui accréditent l'idée du calendrier comme arme politique.
Par sa radicalité et son ambition extrêmes, par la modestie de sa durée et par la netteté de son échec, un calendrier mérite tout particulièrement notre attention... Il s'agit du calendrier républicain, appelé aussi calendrier révolutionnaire, qui de 1793 à 1805 se substitua au calendrier traditionnel.


I- LE POURQUOI ET LE COMMENT D'UN NOUVEAU CALENDRIER

Les contemporains de la Révolution Française, qu'ils en soient les laudateurs ou les adversaires, ont tous éprouvé le sentiment d'entrer dans une ère nouvelle, au point de taxer " d'ancien régime " la période précédente. Pour certains révolutionnaires, et tout particulièrement sous la période de la Terreur, changer les lois pour modifier l'ordre social ne suffisait pas. Pour bâtir un " homme nouveau " et une société nouvelle, détruire les traces symboliques d'un passé honni devenait une impérieuse nécessité.
De même que le nouveau découpage de l'espace (les départements) et les nouvelles unités de mesures (le mètre, le litre et le gramme) devaient simplifier et uniformiser des pratiques diverses et complexes ; de même, instituer un nouveau calendrier répondait à la triple finalité de rationalisation, de remise en cause de la tradition chrétienne française et d'instauration d'un cadre de vie et de fêtes pour la nouvelle société.
Comme le rappelle l'historienne Mona Ozouf (cf. Bibliographie), " le calendrier neuf a d'abord été une pratique avant d'être une institution ". En effet, dès le lendemain de la prise de la Bastille, l'idée de dater les événements à compter de ce jour glorieux semble s'imposer à certains. Cependant, les députés hésitent à faire démarrer l'an I de la liberté au 14 juillet 1789 et préfèrent pour ne pas se couper du reste de l'Europe adopter le 1 janvier. La situation se complique avec le 10 août 1792 (date de la prise du château des Tuileries et de la chute de la monarchie) qui marque pour certains l'an I de l'égalité puis avec le 21 septembre (proclamation de la République). La cohabitation d'un an IV de la liberté avec un an I de l'égalité rend les choses délicates et amène un journal comme le Moniteur à porter les deux dates.
Ces difficultés rendent nécessaire une mise au point. De fait, à la fin de l'année 1792, la Convention charge son Comité d'instruction publique de lui soumettre rapidement un projet sur " les avantages que doit apporter à la France l'accord de l'ère vulgaire avec l'ère républicaine ". Le Comité (au sein duquel on trouve le poète Chénier ainsi que les savants Monge et Lakanal) dépassera largement son cahier des charges. En effet, au bout de neuf mois de réflexion, il proposera un tout nouveau calendrier conçu par ses soins.
Le membre le plus actif de la commission de réforme, Gilbert Romme, présente le projet à la Convention qui le vote le 5 octobre 1793 mais rejette sa nomenclature. Au projet de Romme de remplacer le martyrologe des saints chrétiens par un récit des événements révolutionnaires (mois de la Bastille, du Peuple, de la République, de la Montagne, etc.) se substitue bientôt le calendrier agricole de Fabre d'Eglantine (l'auteur de la comptine Il pleut, il pleut, bergère...).
Malgré leurs divergences (la Nature ou l'Histoire ?) les deux hommes expriment clairement dans leur propos les ambitions du projet. Au premier qui affirme : " le temps ouvre un nouveau livre à l'histoire, et dans sa marche nouvelle, majestueuse et simple comme l'égalité, il doit graver d'un burin neuf les annales de la France régénérée " répond le second qui proclame : " nous ne pouvons plus compter les années où les rois nous opprimaient comme un temps où nous avons vécu ".


II- A QUOI RESSEMBLE LE CALENDRIER REVOLUTIONNAIRE ?

Dans ce nouveau calendrier, l'année est composée de douze mois de trente jours. Chaque mois est lui-même divisé en trois décades, période de dix jours qui se substitue à la semaine.
Ce choix de la dizaine répond à la double finalité de rationalisation et déchristianisation : elle renvoie aux doigts de l'homme et non plus aux sept jours du récit de la création biblique du monde. A ces 360 jours, sont ajoutés cinq ou six journées complémentaires nommées " sans-culottides ". De plus, pour se distinguer du calendrier chrétien les fêtes mobiles sont bannies et les jours chômés ramenés de 56 à 32 jours.
Les mois ont de nouveaux noms par l'intermédiaire desquels, pour reprendre la formule enthousiaste de Michelet, " la nature elle-même, dans la langue charmante de ses fruits, de ses fleurs, dans les bienfaisantes révélations de ses dons maternels, nomme les phases de l'année ". Les premiers mois se nomment vendémiaire, brumaire et frimaire, ils renvoient respectivement aux vendanges, aux brumes et aux frimas et correspondent aux mois d'automne. Ils sont suivis par nivôse, pluviôse et ventôse (neiges, pluies et vents) auxquels succèdent germinal, floréal, prairial (germination, floraison et prairies) et enfin messidor, thermidor et fructidor (moissons, chaleur et fruit).
Dans chaque décade les jours sont appelés primidi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi et décadi.
En lieu et place d'un nom de saint, chaque décadi reçoit un nom d'un instrument aratoire, chaque quintidi celui d'un animal, le reste des jours de la décade se voit attribuer des termes bucoliques pris dans le vocabulaire des fleurs, des arbres, des plantes ou des fruits et légumes (les noms des héros révolutionnaires sont absents, seules des vertus morales ont été conservées et placées aux " sans culottides ").
Ce qui donne, de façon concrète, pour les dix premiers jours du mois de germinal le tableau suivant :

Germinal (7e mois) : 1ère décade
Primidi
1
Primevère
Duodi
2
Platane
Tridi
3
Asperges
Quartidi
4
Tulipe
Quintidi
5
Poule
Sextidi
6
Blette
Septidi
7
Bouleau
Octidi
8
Jonquille
Nonidi
9
Aulne
Décadi
10
Couvoir

Enfin, l'an I du calendrier révolutionnaire débute le 22 septembre 1792, jour fondateur qui correspond à la proclamation de la Ière République et qui de surcroît se trouve être celui de l'équinoxe d'automne. Cette heureuse coïncidence apparaît comme un heureux présage pour les révolutionnaires ; de même que l'équinoxe marque l'égalité du jour et de la nuit, de même, le nouveau calendrier doit symboliser l'entrée dans une nouvelle ère : celle de l'égalité entre les citoyens...


III- LES RAISONS D'UN ECHEC...

Institué en pleine période de " Terreur ", le calendrier survit à la chute de Robespierre malgré de nombreuses critiques. Des pétitions sont envoyées aux députés qui demandent sa suppression pure et simple. Curieusement, alors que les autres symboles de la période précédente sont mis au rencard (culte de l'être suprême, bonnet phrygien, tutoiement, buste de Marat...), le principe du calendrier républicain est défendu et conservé pour la simple raison qu'abandonner ce calendrier reviendrait à admettre la réversibilité des événements révolutionnaires, idée inacceptable pour une assemblée régicide.
Cependant, si le calendrier républicain réussit à traverser les années du Directoire et du Consulat, il ne parvient pas à s'imposer dans les mœurs et se heurte à la résistance de la population française qui répugne à prendre de nouvelles habitudes. Des mesures incitatives et coercitives sont pourtant mises en place : des arrêtés demandent aux journalistes da dater leurs périodiques " républicainement ", aux faiseurs de baux de désigner les périodes d'entrée en jouissance selon " l'annuaire de la liberté ".
L'échec le plus symbolique demeure l'incapacité du décadi à remplacer le dimanche malgré la floraison d'idées visant à lui donner un contenu solennel et séduisant : fixer la publication des naissances et des mariages ou des commémorations communales (avec guinguettes, fêtes et danses). Rien n'y fait, les administrateurs révolutionnaires sont obligés de constater le refus de la France paysanne d'abandonner le dimanche, les fêtes traditionnelles comme les feux de la Saint-Jean ou les fêtes patronales. Le calendrier républicain se heurte donc à un double obstacle : un calendrier liturgique et chrétien ancré dans une tradition séculaire (Noël, Pâques, Toussaint, Carême) mais aussi un calendrier populaire, " immémorial ", à la vitalité intacte, marqué par la plantation de mai ou le carnaval.
La disparition du calendrier va se réaliser en plusieurs temps. Les fêtes révolutionnaires qui devaient ponctuer le nouveau calendrier, comme la prise de la Bastille ou la chute de la monarchie, tombent rapidement en désuétude : elles sont même supprimées en l'an VIII. Le dimanche redevient le jour de repos au moment du Concordat*, ce qui redonne à la semaine son existence légal. Enfin, le 15 fructidor an XIII (soit le 9 septembre 1805), le calendrier est officiellement supprimé par Napoléon Ier, quelques mois après son sacre, au nom d'un caractère trop national et pas assez universel...


CONCLUSION : LE CALENDRIER REPUBLICAIN A-T-IL LAISSE DES TRACES ?

Au XIXe siècle, à une époque où le souvenir de la Révolution française est encore vif et où la croyance au progrès demeure intacte, l'idée d'un calendrier nouveau est encore à l'ordre du jour. Les critiques contre les inconvénients du calendrier grégorien sont récurrentes (division de l'année inégale, fêtes mobiles d'une année sur l'autre, etc.) et les projets de calendrier universel sont nombreux.
Le meilleur exemple demeure celui d'Auguste Comte. En 1849, ce dernier propose un calendrier " positiviste " de 13 mois de 28 jours, comportant 4 semaines, doté à la fin de l'année d'un ou deux jours blancs, hors semaine. Il imagine un calendrier placé sous le patronage des grands esprits de l'humanité, de façon chronologique, débutant avec Moïse et se poursuivant au fils des mois avec Aristote, Charlemagne, Shakespeare ou Descartes. Ce dernier, à la tête du onzième mois, mois de la philosophie moderne, possède en son sein des jours dédiés à Spinoza, Hobbes, Pascal, Locke, Montesquieu ou encore Diderot...
L'influence du calendrier républicain sur celui d'Auguste Comte est nette ; elle s'estompe au fil des années, à mesure que d'autres projets de calendrier universel voient le jour, jusque vers 1930, sans qu'un seul ne soit appliqué de façon concrète. Désormais, cette idée de calendrier universel semble définitivement abandonnée.
Avec le recul, de fait, le calendrier républicain nous paraît incroyablement ambitieux et utopique. De plus, imposé lors de la période la plus violente de l'expérience révolutionnaire, ce calendrier a parfois été stigmatisé comme le symbole des dérives montagnardes (volonté de faire table rase, entreprise de déchristianisation). Nous en gardons, en effet, que peu de traces si ce n'est certains événements marquants de la fin du XVIIIe, appris au cours de notre scolarité (comme la chute de Robespierre le 9 thermidor an II et le coup d'Etat de Napoléon Bonaparte, le 18 Brumaire an VIII), quelques titres de film (comme " les mariés de l'an II ") ou quelques formules journalistiques destinées à souligner un anniversaire (comme " l'an II du PACS " ou " l'an II du gouvernement Raffarin "). Peu de choses, en somme...


Bibliographie :
- BACZKO Bronislaw, Le calendrier républicain in Les lieux de mémoire T.1.
- (de) BOURBOING Jacqueline, Le calendrier, maître du temps ?, Découverte Gallimard, n°400, 2000.
- FURET François et OZOUF Mona, Dictionnaire critique de la Révolution française (institutions et créations).
- SAVOIE Denis, article calendrier in Encyclopaedia universalis.