Le soleil-Archives

Soleil d'hiver
par Florent Jobard

 


La fête de Noël est, aux yeux des fidèles, la commémoration de la naissance de Jésus. L'origine même du mot Noël l'atteste puisqu'il est issu du latin natalis qui signifie " naissance ". Evénement fondateur de la nouvelle religion, la Nativité s'impose donc tout naturellement comme une date majeure du calendrier chrétien. Plus précisément - et c'est là le point de départ du débat qui nous occupera tout au long de l'article - des calendriers catholique et orthodoxe. Distinction cruciale en effet puisque, étant célébrée autour du 6 janvier par les chrétiens d'Orient, la Nativité des orthodoxes diffère dans le temps d'une bonne dizaine de jours de celle des catholiques. Est-ce à dire alors que Jésus ne serait pas né un 25 décembre ? A moins que l'erreur ne vienne des orthodoxes...
Autre fait troublant : Noël est une période de faste, d'abondance, qu'il s'agisse de nourriture ou de cadeaux. Il paraissait alors naturel d'attribuer une telle profusion aux nombreux présents que Jésus a reçu ce jour-là, le 25 décembre. Pourtant, ce n'est qu'à l'Epiphanie, le 6 janvier, que les rois mages lui ont rendu visite.
Tout aussi troublante enfin est l'étymologie même du mot Epiphanie puisqu'elle accentue encore cette impression d'une confusion entre ces deux dates. Pris du grec epiphanios " qui apparaît ", de la famille de phainein " faire briller ", il semble en effet, dans son acceptation religieuse, renvoyer à la divinité du Christ. Or Noël, avec ses rituelles bougies et autres guirlandes lumineuses, apparaît clairement comme une fête de la lumière.
Si les fêtes de Noël et de l'Epiphanie semblent à ce point liées, comment dès lors comprendre qu'elles aient été distinguées dans le temps ? Faut-il déduire de toutes ces remarques que les chrétiens catholiques se sont trompés dans les dates ? Sans doute est-il assez naïf de le croire...


I- AUX ORIGINES DE NOEL

1- Saturnales

Noël - comme la plupart des fêtes chrétiennes - est en fait issu du monde païen, plus précisément des Saturnales, une fête romaine qui avait lieu du 17 au 23 décembre et au cours de laquelle on s'échangeait invitations et petits cadeaux. Plutôt que de combattre une fête aussi populaire que les Saturnales, les Pères de l'Eglise ont en effet préféré lui donner un sens chrétien. Le choix du 25 décembre est donc clairement politique. Le plus ancien témoignage de cette fête ne date d'ailleurs que de 354, soit quarante ans seulement après l'officialisation de la religion chrétienne dans l'empire romain. Auparavant, les premiers chrétiens célébraient le même jour - le 6 janvier - sa naissance, son baptême et l'Epiphanie.

Choix politique et d'autant plus " illégitime " que nulle part dans la Bible on n'y trouve une quelconque allusion. Le froid qui sévit en Judée à cette époque de l'année prouverait même qu'elle n'a pu y avoir lieu puisqu'on sait que les bergers ont passé la nuit dans les champs avec leurs moutons et que les populations voyageaient jusqu'aux postes de recensement que César-Auguste venait d'ordonner.

Face à l'importance des Saturnales dans le monde romain, il fallait aux chrétiens célébrer à cette même période de l'année un événement majeur de la vie de Jésus. Mais pourquoi ce choix s'est-il porté sur sa naissance plutôt que sur un autre événement ? L'étude du contenu même des Saturnales nous apportera sans doute un premier élément de réponse.
En premier lieu, une journée de la fête, le Dies juvenalis, était spécifiquement réservée aux tout-petits ; à cette occasion, l'un d'eux était immolé en souvenir de Cronos (identifié au dieu romain Saturne) qui dévorait ses enfants à leur naissance. Sacrifice d'un enfant donc, tout comme le Christ qui fut sacrifié sur la croix pour le rachat de l'humanité. Mais un autre point commun semble se dégager. En effet, les Saturnales voyaient les hiérarchies sociales et les conventions morales bouleversées : esclavage et propriété privée abolis, prisonniers amnistiés, écoles fermées, jeux, boissons, orgies, etc. Un jeune soldat était même élu roi de la fête et pouvait se livrer à toutes les débauches. Mais à la fin des festivités il lui fallait se donner la mort sur l'autel du dieu. A l'image de ce jeune soldat, il semble que la société romaine ait souhaité revivre l'âge d'or présidé par Saturne - âge où l'égalité régnait entre les hommes -, se permettant ainsi toute licence et causant un grand désordre, comme si elle avait souhaité faire table rase de toute institution, pour mieux reconstruire ; comme si cette période marquait la fin d'un temps et l'occasion de bâtir une société nouvelle.
Or le christianisme ne se présente-t-il pas comme une manière radicalement nouvelle de concevoir le monde, au point qu'on désigne par " Nouveau Testament " la vie et l'enseignement de Jésus ? De même, l'égalité des hommes face à la toute puissance de Dieu n'est-elle pas l'un des principes fondamentaux de cette religion ?

2- Culte de Mithra

Mais sans doute s'agissait-il également pour les Pères de l'Eglise de couvrir cette autre date importante du calendrier romain, le culte de Mithra, qui avait lieu le 25 décembre exactement. Là encore semble se dégager des points communs avec la naissance et la figure du Christ. Tout d'abord, Mithra est souvent représenté sous les traits d'un enfant nouveau-né. Ensuite, on le voit tuer un taureau dont le sang régénérera les êtres vivants. Enfin - et c'est là le point le plus probant -, Mithra est un dieu de la lumière et de la justice, et se fait parfois nommer Sol invictus, le " soleil invaincu ". Or la Bible désigne également le Sauveur comme le " Soleil de justice " et la " Lumière du monde ".
Le choix de la date du 25 décembre de la part des Pères de l'Eglise est donc à double titre politique. Il fallait à la fois concurrencer les Saturnales et le culte de Mithra. Et l'on comprend également que ce choix ait porté sur la naissance du Christ plutôt que sur un autre événement puisque ces deux cultes païens renvoient aux thèmes chrétiens du sacrifice et du renouveau, et mettent en scène un enfant nouveau-né.
La question posée en introduction de cet article semble ainsi réglée, mais en apparence seulement. En effet, si la date du 25 décembre est un choix uniquement politique, comment se fait-il alors que ces mêmes thèmes se retrouvent à la fois dans les Saturnales et le culte de Mithra ? Comment également comprendre le rôle central du soleil dans le syncrétisme des cultes chrétien et mithriaque ? Enfin, si la date de l'Epiphanie n'est pas plus légitime du point de vue des textes sacrés que celle de Noël, comment expliquer qu'elle a été fixé le 6 janvier ? Les motivations des Pères de l'Eglise sont-elles, là aussi, uniquement politiques ? En somme, n'y aurait-il pas une origine culturelle commune, permettant de donner satisfaction à l'ensemble de ces questions ?


II- HIVER, SOLEIL ET RENOUVEAU

1- Une origine possible : la Mésopotamie

Une telle confusion du soleil et de la justice, présente dans la Bible et dans la religion indo-iranienne puisque la figure de Mithra en est originaire, a également été générée par la Mésopotamie avec Utu/Shamash, dieu à la fois du soleil et de la justice. Or, quand on connaît le rayonnement de cette civilisation - l'une des plus vieilles du monde - sur tout le Moyen-Orient, au point de retrouver les mêmes éléments narratifs dans l'épopée de Gilgamesh et dans la Genèse, on peut se demander si les thèmes relevés plus haut, ainsi peut-être que la confusion du soleil et de la justice, n'y trouveraient pas une origine culturelle.

Or on trouve des similitudes dans la plupart des civilisations anciennes dont certaines sont culturellement fort différentes du Moyen-Orient, et de la Mésopotamie en particulier. Chez les Celtes, par exemple, il semble qu'un couple de dieux s'unit pour concevoir le nouveau soleil qui naîtra exactement à cette période de l'année, et le rite d'Imbolc célèbre l'enfantement du fils de la déesse mère. Quant à la tradition chinoise, elle concevait cette période comme la plus propice à la conception. Mais l'exemple le plus convaincant est sans doute celui des Indiens d'Amérique du Nord - peuple qui rappelons-le ne fut découvert qu'à la fin du XVe siècle - puisqu'ils donneraient à cette lunaison le nom de " lune du renouveau de la terre " en l'associant au même arbre totem que les Celtes, le bouleau, premier des arbres forestiers à sortir ses feuilles.

On se rend compte ainsi de l'étroitesse et de l'universalité du lien qui unit fin décembre, renouveau, naissance et soleil, période à laquelle ce dernier devait sans doute offrir un spectacle unique, visible de tous ces coins du monde. Or cette fin décembre connaît justement un jour très spécifique, le 21, défini comme le solstice d'hiver. Mais qu'évoque pour nous cette date manifestement si particulière aux yeux des Anciens ? Peu de chose, si ce n'est le début de l'hiver, dont nous pourrions d'ailleurs contester la validité, du fait que le froid sévit dans nos régions depuis déjà plus d'un mois. Les Celtes fêtaient d'ailleurs leurs morts le 1er novembre, date qui marquait le début de l'hiver et de l'année celtique. Or, si le solstice d'hiver ne marque ni le début de l'hiver, ni le début de l'année, comment dès lors comprendre l'importance que lui ont accordée toutes les civilisations anciennes ?

2- Approches théoriques du solstice : dictionnaire et étymologie

Ce jour du 21 décembre n'avait certainement rien d'arbitraire et devait au contraire désigner une étape remarquable de la course du soleil, comme semble d'ailleurs le suggérer l'étymologie du mot " solstice " : du latin sol et stare signifiant respectivement " soleil " et " s'arrêter ". Etymologie somme toute assez curieuse puisqu'elle ne semble avoir aucun rapport avec la définition qu'en donne Le Petit Robert : " chacune des deux époques où le soleil atteint son plus grand éloignement angulaire du plan de l'équateur ; point de l'écliptique qui y correspond. Solstice d'hiver (21 ou 22 décembre), jour le plus court de l'année et solstice d'été (21 ou 22 juin), jour le plus long de l'année dans l'hémisphère Nord ". Cependant, la deuxième partie de la définition offre un premier éclairage sur la notion de renouveau rencontrée plus haut qui, il est vrai, ne se rapporte qu'à des civilisations de l'hémisphère Nord. Au lendemain du solstice d'hiver, les jours s'allongent, ce dont nous pouvons nous rendre compte le matin à notre réveil : il y fait à partir de ce jour un tout petit peu plus clair que la veille. On comprend mieux également l'usage des bougies à Noël et le thème de la lumière contenu dans le mot même d'Epiphanie. Prennent tout leur sens également l'appellation Sol invictus - l'année était d'ailleurs vécue par les Celtes comme une longue bataille entre le Seigneur des Ténèbres et le Seigneur de la Lumière -, et l'image du bouleau précédemment évoquée. De même, la profusion de nourriture dont fait preuve la fête de Noël est comme la promesse, la projection d'une année à venir riche et abondante, à l'image des beaux jours de printemps qu'annonce l'allongement du jour.
Toutefois, la première partie de la définition, tout comme l'étymologie, demeure obscure. Que signifient en effet cet " éloignement angulaire du plan de l'équateur ", ou encore le terme " écliptique ", et cet " arrêt du soleil " ? De plus, de quels moyens disposaient ces civilisations anciennes pour repérer ces jours de solstice comme étant le plus long et le plus court de l'année alors que l'aiguille des minutes, seul outil capable d'une telle précision, n'apparut sur nos horloges qu'au XVIIe siècle ? Sans doute, pour mieux comprendre, devais-je faire moi-même l'expérience du solstice.


III- OBLIQUITE DE LA TERRE

J'ai alors observé le soleil depuis la fenêtre de mon appartement (nous étions à la mi-septembre) et j'ai constaté, à ma grande surprise, qu'il se couchait chaque jour un peu plus sur ma gauche : entre la troisième et la quatrième cheminée de l'immeuble d'en face, puis, le lendemain, entre la quatrième et la cinquième, etc. Afin d'avoir davantage de données, je mis mes parents à contribution. De leurs fenêtres également orientées plein ouest, ils ont alors observé que le soleil se couchait plus ou moins derrière le Sacré Cœur. Mais possédant une vue parfaitement dégagée du haut de leur onzième étage et par conséquent aucun repère aussi précis que mes petites cheminées distantes d'au plus trente centimètres, ils ne surent établir si le soleil se couchait également de plus en plus sur leur gauche. Cependant, ils m'affirmèrent se souvenir qu'il se couchait en été nettement à droite de ce monument. Cette information m'avait d'abord paru étrange. Aussi avais-je pris un plan de Paris pour en avoir le cœur net, plan que je reproduis très grossièrement ci-dessous, auquel j'ajoute des pointillés représentant les rayons du soleil. J'y indique également la Porte de Pantin, lieu de résidence de mes parents.


Ce schéma de Paris présente une direction verticale du pôle Nord, conformément au schéma ci-dessous représentant la course de la Terre autour du soleil, ainsi que son axe de rotation sur elle-même.


Or le schéma de Paris fait immédiatement apparaître une contradiction : à en croire les pointillés, mes parents auraient dû voir le soleil se coucher tous les jours de l'année derrière le Sacré Cœur, ce qui n'était pas le cas en été. Pourtant, le plan de Paris dont je me suis servi révèle que ce monument est bien à la même " hauteur " que la Porte de Pantin, ce dont rend compte ma reproduction. La seule solution pour sortir de ce dilemme est alors de faire basculer Paris de manière à ce que les pointillés passent " au-dessus " du Sacré Cœur, conformément à l'observation de mes parents qui avaient vu le soleil se coucher en été nettement à droite de ce monument, soit beaucoup plus au nord. Le schéma ci-dessous semble bien ne contenir aucune erreur puisque le Sacré Cœur et la Porte de Pantin gardent la même hauteur par rapport au nord - la même latitude.


Or, si nous sommes contraints d'incliner la ville de Paris, et par conséquent la France et même la Terre, c'est que l'axe des pôles - l'axe de rotation de notre planète sur elle-même - n'est pas vertical - ce dont d'ailleurs rendent compte nos mappemondes. Le schéma correct de la course de la Terre autour du soleil est donc le suivant puisqu'il présente une ville de Paris " penchée " vers le soleil le 21 juin, soit au début de l'été (je rappelle que Paris est dans l'hémisphère Nord).


IV- CONSEQUENCES DE CETTE OBLIQUITE : TROIS EXPERIENCES DU SOLSTICE

1- Première expérience : deux points limites sur la ligne d'horizon

Une donnée aussi remarquable que l'inclinaison de la Terre devait sans doute avoir un lien avec le solstice. J'ai alors isolé du schéma précédent les deux images de la Terre aux solstices d'été et d'hiver (21 juin et 22 décembre). Signalons pour la compréhension des schémas suivants que le point noir me représente et rappelons que mes fenêtres sont orientées plein ouest. J'ai également grisé la demi-sphère se trouvant à l'ombre du soleil, et qui représente la nuit pour les personnes habitant cette partie de la Terre.


Ces schémas révèlent que lorsque je vois le soleil se coucher derrière la ligne d'horizon ou, pour le dire autrement, lorsque j'entre dans la zone d'ombre, il disparaît sur ma droite en été et sur ma gauche en hiver. Le déplacement progressif de son coucher vers la gauche du 21 juin au 22 décembre, et que j'avais observé à la mi-septembre, était donc logique. Le soleil se couche en hiver de plus en plus en direction du sud-ouest, s'arrête, puis reprend sa course dans l'autre sens pour atteindre en été une position maximale en direction du nord-ouest, et tout recommencer. Les solstices ne sont donc que deux bouts de course sur la ligne d'horizon. (Signalons que seule l'inclinaison de l'axe des pôles permet de confirmer les observations de mes parents et les miennes. Si l'axe n'était pas incliné, le soleil se coucherait tous les jours plein ouest, soit derrière le Sacré Cœur pour mes parents.)

Le bonhomme du schéma ci-dessous pourrait bien me représenter puisque mes fenêtres sont orientées plein ouest. (Le zénith définit le point le plus haut dans le ciel.)


Copyright Walter-Robert Corti, Le soleil, Arthaud, 1961

Un bref aperçu des sites archéologiques tend à prouver que les Anciens usèrent de cette expérience pour la mesure des solstices. C'est, par exemple, la position du soleil couchant au solstice d'hiver qui a déterminé l'orientation du temple maya de Palenque. Les rayons du soleil, à mesure que l'astre tombait, semblaient descendre les marches jusqu'à la tombe du roi Pakal. La mort du soleil faisait ainsi écho à celle du roi. Et c'est encore cette expérience dont usèrent les prêtres-astronomes de Stonehenge ou d'Abou Simbel en Egypte, cette fois-ci pour la mesure du solstice d'été.
Constatant l'éloignement progressif du soleil, les Anciens craignaient certainement qu'il ne quitte définitivement la Terre et les hommes. Quoi qu'il en soit, le problème que posait l'étymologie semblait réglé. De même en ce qui concerne la mesure du solstice : il devient en effet inutile d'accomplir la tâche difficile de la mesure de la durée du jour puisqu'il suffit simplement d'observer le coucher du soleil et d'attendre le jour de son éloignement maximal sur la ligne d'horizon. Observations particulièrement aisées puisque le soleil à son coucher émet une lumière bien moins aveuglante qu'en pleine journée et qu'il offre aussi quantité de repères comme nous avons pu le voir avec les petites cheminées.

2- Deuxième expérience : jour le plus court ou le plus long de l'année

Mais il reste un point à éclaircir. Comment, connaissant l'inclinaison de la Terre, comprendre l'allongement du jour à partir du solstice d'hiver, expérience que semblent avoir vécue toutes les civilisations anciennes, donnant lieu aux croyances et aux rites que nous savons ?

Copyright Walter-Robert Corti, Le soleil, Arthaud, 1961


Concentrons-nous sur le cercle du globe sur lequel est placé le bonhomme et qui définit la latitude de la France. Nous remarquons alors qu'en hiver la partie du cercle éclairée par le soleil est beaucoup plus courte que sa partie à l'ombre. La Terre tournant autour de l'axe des pôles (un tour complet lui demande une journée d'environ 24 heures), cela entraîne que le jour y est beaucoup plus court que la nuit ; et inversement concernant l'été, six mois plus tard. Ce raisonnement, établi pour la France, est évidemment valable pour tous les habitants de l'hémisphère Nord. Les habitants de l'hémisphère Sud ont leurs saisons inversées par rapport aux nôtres.

Mais revenons au schéma représentant la révolution de la Terre autour du soleil et concentrons-nous maintenant sur les deux autres images dont nous n'avons pas encore parlé. Elles offrent en effet une particularité qui nous permettront de mieux saisir encore l'allongement (ou le raccourcissement) du jour entre deux solstices.


J'ai fait pivoter le schéma précédent d'un quart de tour et apparaître l'ombre du soleil.


Quel que soit le cercle (la latitude) considéré du globe terrestre, on constate alors que sa partie éclairée est de même taille que sa partie à l'ombre, soit un demi-cercle. La nuit est pour tous les habitants de la Terre, quel que soit leur hémisphère, aussi longue que le jour. C'est l'équinoxe de printemps (20 mars), du latin equus " égal " et nox " nuit ", phénomène qui se reproduit six mois plus tard à l'équinoxe d'automne (23 septembre). Ces jours si particuliers étaient également connus de la plupart des civilisations anciennes et furent l'objet, tout comme les solstices, de nombreuses croyances ou rites. Pour preuve : au moment des équinoxes, le soleil au couchant projette sur la rampe de l'escalier nord de la pyramide d'El Castillo du site de Chichen Itza, situé dans le Mexique actuel, l'ombre de l'angle du bâtiment, formant ainsi le corps d'un serpent ondulant, animal central dans les croyances mayas. Et, en Occident, les sanctuaires mithriaques sont orientés de sorte qu'à l'équinoxe de printemps le soleil levant vienne frapper l'image cultuelle de Mithra.

Résumons : à partir du solstice d'hiver, les jours s'allongent de plus en plus jusqu'au solstice d'été où la nuit commence à reprendre le dessus et ainsi de suite, avec au passage deux étapes remarquables : l'équinoxe de printemps qui marque la victoire du soleil sur la nuit, puisque c'est à partir de cette date que les jours sont plus longs que les nuits, et l'équinoxe d'automne qui marque sa défaite.
La décision que prirent les Pères de l'Eglise de fixer la fête de la naissance du Christ le 25 décembre se trouva légitimée par une phrase du Nouveau Testament que Saint Jean Baptiste aurait prononcée après avoir baptisé le Christ : " Il faut qu'il croisse et que je diminue " (Evangile de Jean). Il cède la place à Jésus, tout comme la nuit cède la place au jour au solstice d'hiver ; la fête de la naissance de Saint Jean Baptiste sera alors fixée le 24 juin, jour très proche du solstice d'été.
On trouve une image tout à fait analogue dans le mithraïsme mais en rapport avec les équinoxes : un personnage portant une torche levée pour représenter le soleil de printemps et une torche baissée pour le soleil d'automne.

Signalons enfin que si la Terre n'était pas inclinée, les parties au soleil et à l'ombre de chacun des cercles du globe terrestre seraient de même longueur. Nous aurions donc tout au long de l'année des journées de même durée que les nuits, ce qui est contraire à l'observation : les jours sont plus courts en hiver qu'en été.

Il apparaît donc que le solstice puisse s'appréhender de deux manières différentes : par rapport à la position du coucher du soleil sur la ligne d'horizon ou bien par rapport à la durée du jour. Mais comment les Anciens, eux, le concevaient-ils ? Question d'autant plus troublante qu'une troisième expérience semble possible.

3- Troisième expérience : hauteur minimale ou maximale du soleil dans le ciel

N'avez-vous pas en effet remarqué que le soleil est en hiver beaucoup plus bas dans le ciel qu'en été ? Pourquoi une telle différence ? Sur le schéma ci-dessous, la lettre S représente le soleil.


Considérons le bonhomme de gauche, celui qui se situe en hiver. L'angle formé par les deux droites en pointillés est très fermé : le soleil est très bas dans le ciel. En revanche, pour le bonhomme situé en été, cet angle est très ouvert : le soleil est très haut dans le ciel. Le soleil est donc beaucoup plus bas en hiver, ce qui correspond à l'observation. Aux équinoxes, il se trouve à une hauteur intermédiaire.

On sait que les Mayas pratiquaient beaucoup de sacrifices au cours desquels le sang versé était censé apporter l'énergie nécessaire à l'astre solaire pour qu'il poursuive sa course pendant la nuit dans le monde souterrain. Là, les Mayas pensaient en effet que des divinités maléfiques cherchaient à freiner son élan. Peut-être alors la perte de hauteur du soleil au solstice d'hiver occasionnait-elle encore davantage de sacrifices ?

Un ami m'a par ailleurs fait remarquer que le soleil tombait bien plus lentement en hiver qu'en été où son ascension et sa descente s'effectuent à vive allure, et qu'il semblait même s'immobiliser dans le ciel. L'étymologie sol stare, " le soleil s'arrête ", renverrait-elle à cette observation et non à celle évoquée plus haut de la position maximale de son coucher sur la ligne d'horizon ?

Signalons encore que si l'axe des pôles n'était pas incliné, la Terre représentée à gauche aurait été symétrique de celle de droite. Aussi le bonhomme de gauche aurait-il eu une position analogue à celui de droite et le soleil aurait été observé dans le ciel avec le même angle aux deux saisons, ce que démentent les variations de hauteur qu'il subit au cours de l'année.


CONCLUSION

Les trois expériences du solstice d'hiver que nous avons recensées - jour le plus court de l'année, soleil au plus bas dans le ciel et position extrême de son coucher sur la ligne d'horizon - sont les manifestations d'un seul et même phénomène. C'est du moins ce que prouvent les nombreux schémas de l'article, car d'un point de vue pratique, je n'ai évidemment rien pu vérifier. Il aurait fallu en effet que je chronomètre avec la plus grande précision la durée séparant le lever du coucher du soleil, observations qui ne vont pas d'elles-mêmes puisqu'elles supposent de jouir d'une vue parfaitement dégagée et que je sois à l'affût à ces moments précis de la journée. Ensuite, il aurait fallu que je sois capable de mesurer la hauteur du soleil dans le ciel, alors même que je ne peux l'observer de face. J'aurais certes pu m'en sortir en mesurant la taille de l'ombre d'un piquet : plus elle est courte, plus le soleil est haut dans le ciel, et inversement ; reste que la hauteur du soleil est variable au cours d'une même journée, alors comment savoir si le soleil atteint bel et bien sa hauteur minimale en ce jour de solstice ? Une seule mesure relative aux trois manifestations recensées plus haut est cependant très accessible : celle qui met en jeu le coucher du soleil, puisque, rappelons-le, n'intervient ici qu'une seule coordonnée spatiale : la position qu'il occupe sur la ligne d'horizon. Dans le cas présent, la précision des petites cheminées suffisait amplement. Il semble ainsi assez difficile d'établir avec des moyens simples d'observation la coïncidence de ces trois manifestations. Mais d'un point de vue théorique - schémas de l'article - elle s'établit sans trop de difficultés.
On peut alors émettre un doute sérieux sur l'intelligence qu'avaient les Anciens de ce phénomène de solstice, eux qui ne possédaient ni la précision de nos instruments de mesure, ni les schémas précédents puisqu'ils supposent de savoir que l'axe de la Terre est incliné et au préalable que c'est la Terre qui tourne autour du soleil et non l'inverse ? Pourtant, il semble bien qu'ils aient entrevu un lien direct entre ces trois manifestations. Les quelques sites archéologiques que nous avons évoqués, orientés de manière à mesurer les solstices ou les équinoxes, prouvent en premier lieu qu'ils avaient pris connaissance des différentes positions du soleil à son coucher. Ensuite, l'ensemble des croyances ou rites relatifs à la renaissance du soleil ou à sa victoire sur la nuit semble accréditer l'hypothèse selon laquelle ils appréhendaient le solstice grâce à sa hauteur dans le ciel et à la durée du jour. Mais ont-ils compris avec la même intelligence que la nôtre que ces trois événements n'étaient que les manifestations d'un seul et même phénomène ? Sans doute pas, car alors comment interpréter que les adorateurs de Mithra aient commis une " erreur " de quatre jours sur la mesure du solstice, le fixant au 25 décembre au lieu du 21 actuel ? Et que penser de l'Epiphanie dont l'étymologie semble clairement renvoyer au solstice et dont la date de célébration fut pourtant fixée au 6 janvier ? A moins que les Anciens n'aient eu raison, et que ce soit la Terre, en modifiant sa course autour du soleil, qui soit la seule responsable d'une telle " erreur ". En-Quêtes à suivre...

Sources :

- Laurent Malonda, Les instruments de mesure du temps, revue En-Quêtes,
- Daniel Poza-Lazaro, Mithra (ou les métamorphoses d'un dieu solaire), revue En-Quêtes,
- Walter-Robert Corti, Le soleil, Arthaud, 1961,
- Karine Delobbe, Noël, Histoire de fêtes, PEMF, 2003,
- N. Lemaître, M.-T. Quinson, V. Sot, Dictionnaire culturel du Christianisme, Nathan, 1994,
- Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Lorsque les dieux faisaient l'homme, Gallimard, 1989,
- Jean Bottéro, Au commencement étaient les dieux, L'Histoire, Tallandier, 2004
- Jean Bottéro, L'Epopée de Gilgamesh, Le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard, 1992,
- Jean-Paul Brisson, Saturne (religion romaine), article de l'Encyclopaedia Universalis,
- Robert Cabié, Noël, article de l'Encyclopaedia Universalis,
- Turcan Robert, Mithraisme, article de l'Encyclopaedia Universalis,
- Sous la direction de Alain Rey, Le Robert Dictionnaire historique de la langue française, 1992,
- Mexique, lonely planet, 5e édition,
- http://www.civilization.ca/civil/maya/mmc07fra.html,
- http://www.chez.com/ladivine/textes/yule.htm,
- http://users.belgacom.net/symbolisme/orientationfr.htm#top,
- http://www.bibliorama.com/expos/expo_babylone/babylone_fetes.htm,
- http://www.officecom.qc.ca/matiere/noel/pourquoi_noel.html,
- http://users.swing.be/mamita/mandala.htm.