La fête de Noël est, aux yeux des fidèles, la commémoration
de la naissance de Jésus. L'origine même du mot Noël
l'atteste puisqu'il est issu du latin natalis qui signifie
" naissance ". Evénement fondateur de la nouvelle religion,
la Nativité s'impose donc tout naturellement comme une date majeure
du calendrier chrétien. Plus précisément - et c'est
là le point de départ du débat qui nous occupera
tout au long de l'article - des calendriers catholique et orthodoxe.
Distinction cruciale en effet puisque, étant célébrée
autour du 6 janvier par les chrétiens d'Orient, la Nativité
des orthodoxes diffère dans le temps d'une bonne dizaine de jours
de celle des catholiques. Est-ce à dire alors que Jésus
ne serait pas né un 25 décembre ? A moins que l'erreur
ne vienne des orthodoxes...
Autre fait troublant : Noël est une période de faste, d'abondance,
qu'il s'agisse de nourriture ou de cadeaux. Il paraissait alors naturel
d'attribuer une telle profusion aux nombreux présents que Jésus
a reçu ce jour-là, le 25 décembre. Pourtant, ce
n'est qu'à l'Epiphanie, le 6 janvier, que les rois mages lui
ont rendu visite.
Tout aussi troublante enfin est l'étymologie même du mot
Epiphanie puisqu'elle accentue encore cette impression d'une confusion
entre ces deux dates. Pris du grec epiphanios " qui apparaît
", de la famille de phainein " faire briller ",
il semble en effet, dans son acceptation religieuse, renvoyer à
la divinité du Christ. Or Noël, avec ses rituelles bougies
et autres guirlandes lumineuses, apparaît clairement comme une
fête de la lumière.
Si les fêtes de Noël et de l'Epiphanie semblent à
ce point liées, comment dès lors comprendre qu'elles aient
été distinguées dans le temps ? Faut-il déduire
de toutes ces remarques que les chrétiens catholiques se sont
trompés dans les dates ? Sans doute est-il assez naïf de
le croire...
I- AUX ORIGINES DE NOEL
1- Saturnales
Noël - comme la plupart des fêtes chrétiennes - est
en fait issu du monde païen, plus précisément des
Saturnales, une fête romaine qui avait lieu du 17 au 23 décembre
et au cours de laquelle on s'échangeait invitations et petits
cadeaux. Plutôt que de combattre une fête aussi populaire
que les Saturnales, les Pères de l'Eglise ont en effet préféré
lui donner un sens chrétien. Le choix du 25 décembre est
donc clairement politique. Le plus ancien témoignage de cette
fête ne date d'ailleurs que de 354, soit quarante ans seulement
après l'officialisation de la religion chrétienne dans
l'empire romain. Auparavant, les premiers chrétiens célébraient
le même jour - le 6 janvier - sa naissance, son baptême
et l'Epiphanie.
Choix politique et d'autant plus " illégitime " que
nulle part dans la Bible on n'y trouve une quelconque allusion. Le froid
qui sévit en Judée à cette époque de l'année
prouverait même qu'elle n'a pu y avoir lieu puisqu'on sait que
les bergers ont passé la nuit dans les champs avec leurs moutons
et que les populations voyageaient jusqu'aux postes de recensement que
César-Auguste venait d'ordonner.
Face à l'importance des Saturnales dans le monde romain, il fallait
aux chrétiens célébrer à cette même
période de l'année un événement majeur de
la vie de Jésus. Mais pourquoi ce choix s'est-il porté
sur sa naissance plutôt que sur un autre événement
? L'étude du contenu même des Saturnales nous apportera
sans doute un premier élément de réponse.
En premier lieu, une journée de la fête, le Dies juvenalis,
était spécifiquement réservée aux tout-petits
; à cette occasion, l'un d'eux était immolé en
souvenir de Cronos (identifié au dieu romain Saturne) qui dévorait
ses enfants à leur naissance. Sacrifice d'un enfant donc, tout
comme le Christ qui fut sacrifié sur la croix pour le rachat
de l'humanité. Mais un autre point commun semble se dégager.
En effet, les Saturnales voyaient les hiérarchies sociales et
les conventions morales bouleversées : esclavage et propriété
privée abolis, prisonniers amnistiés, écoles fermées,
jeux, boissons, orgies, etc. Un jeune soldat était même
élu roi de la fête et pouvait se livrer à toutes
les débauches. Mais à la fin des festivités il
lui fallait se donner la mort sur l'autel du dieu. A l'image de ce jeune
soldat, il semble que la société romaine ait souhaité
revivre l'âge d'or présidé par Saturne - âge
où l'égalité régnait entre les hommes -,
se permettant ainsi toute licence et causant un grand désordre,
comme si elle avait souhaité faire table rase de toute institution,
pour mieux reconstruire ; comme si cette période marquait la
fin d'un temps et l'occasion de bâtir une société
nouvelle.
Or le christianisme ne se présente-t-il pas comme une manière
radicalement nouvelle de concevoir le monde, au point qu'on désigne
par " Nouveau Testament " la vie et l'enseignement de Jésus
? De même, l'égalité des hommes face à la
toute puissance de Dieu n'est-elle pas l'un des principes fondamentaux
de cette religion ?
2- Culte de Mithra
Mais sans doute s'agissait-il également pour les Pères
de l'Eglise de couvrir cette autre date importante du calendrier romain,
le culte de Mithra, qui avait lieu le 25 décembre exactement.
Là encore semble se dégager des points communs avec la
naissance et la figure du Christ. Tout d'abord, Mithra est souvent représenté
sous les traits d'un enfant nouveau-né. Ensuite, on le voit tuer
un taureau dont le sang régénérera les êtres
vivants. Enfin - et c'est là le point le plus probant -, Mithra
est un dieu de la lumière et de la justice, et se fait parfois
nommer Sol invictus, le " soleil invaincu ". Or la Bible désigne
également le Sauveur comme le " Soleil de justice "
et la " Lumière du monde ".
Le choix de la date du 25 décembre de la part des Pères
de l'Eglise est donc à double titre politique. Il fallait à
la fois concurrencer les Saturnales et le culte de Mithra. Et l'on comprend
également que ce choix ait porté sur la naissance du Christ
plutôt que sur un autre événement puisque ces deux
cultes païens renvoient aux thèmes chrétiens du sacrifice
et du renouveau, et mettent en scène un enfant nouveau-né.
La question posée en introduction de cet article semble ainsi
réglée, mais en apparence seulement. En effet, si la date
du 25 décembre est un choix uniquement politique, comment se
fait-il alors que ces mêmes thèmes se retrouvent à
la fois dans les Saturnales et le culte de Mithra ? Comment également
comprendre le rôle central du soleil dans le syncrétisme
des cultes chrétien et mithriaque ? Enfin, si la date de l'Epiphanie
n'est pas plus légitime du point de vue des textes sacrés
que celle de Noël, comment expliquer qu'elle a été
fixé le 6 janvier ? Les motivations des Pères de l'Eglise
sont-elles, là aussi, uniquement politiques ? En somme, n'y aurait-il
pas une origine culturelle commune, permettant de donner satisfaction
à l'ensemble de ces questions ?
II- HIVER, SOLEIL ET RENOUVEAU
1- Une origine possible : la Mésopotamie
Une telle confusion du soleil et de la justice, présente dans
la Bible et dans la religion indo-iranienne puisque la figure de Mithra
en est originaire, a également été générée
par la Mésopotamie avec Utu/Shamash, dieu à la fois du
soleil et de la justice. Or, quand on connaît le rayonnement de
cette civilisation - l'une des plus vieilles du monde - sur tout le
Moyen-Orient, au point de retrouver les mêmes éléments
narratifs dans l'épopée de Gilgamesh et dans la Genèse,
on peut se demander si les thèmes relevés plus haut, ainsi
peut-être que la confusion du soleil et de la justice, n'y trouveraient
pas une origine culturelle.
Or on trouve des similitudes dans la plupart des civilisations anciennes
dont certaines sont culturellement fort différentes du Moyen-Orient,
et de la Mésopotamie en particulier. Chez les Celtes, par exemple,
il semble qu'un couple de dieux s'unit pour concevoir le nouveau soleil
qui naîtra exactement à cette période de l'année,
et le rite d'Imbolc célèbre l'enfantement du fils de la
déesse mère. Quant à la tradition chinoise, elle
concevait cette période comme la plus propice à la conception.
Mais l'exemple le plus convaincant est sans doute celui des Indiens
d'Amérique du Nord - peuple qui rappelons-le ne fut découvert
qu'à la fin du XVe siècle - puisqu'ils donneraient à
cette lunaison le nom de " lune du renouveau de la terre "
en l'associant au même arbre totem que les Celtes, le bouleau,
premier des arbres forestiers à sortir ses feuilles.
On se rend compte ainsi de l'étroitesse et de l'universalité
du lien qui unit fin décembre, renouveau, naissance et soleil,
période à laquelle ce dernier devait sans doute offrir
un spectacle unique, visible de tous ces coins du monde. Or cette fin
décembre connaît justement un jour très spécifique,
le 21, défini comme le solstice d'hiver. Mais qu'évoque
pour nous cette date manifestement si particulière aux yeux des
Anciens ? Peu de chose, si ce n'est le début de l'hiver, dont
nous pourrions d'ailleurs contester la validité, du fait que
le froid sévit dans nos régions depuis déjà
plus d'un mois. Les Celtes fêtaient d'ailleurs leurs morts le
1er novembre, date qui marquait le début de l'hiver et de l'année
celtique. Or, si le solstice d'hiver ne marque ni le début de
l'hiver, ni le début de l'année, comment dès lors
comprendre l'importance que lui ont accordée toutes les civilisations
anciennes ?
2- Approches théoriques du solstice : dictionnaire et
étymologie
Ce jour du 21 décembre n'avait certainement rien d'arbitraire
et devait au contraire désigner une étape remarquable
de la course du soleil, comme semble d'ailleurs le suggérer l'étymologie
du mot " solstice " : du latin sol et stare
signifiant respectivement " soleil " et " s'arrêter
". Etymologie somme toute assez curieuse puisqu'elle ne semble
avoir aucun rapport avec la définition qu'en donne Le Petit Robert
: " chacune des deux époques où le soleil atteint
son plus grand éloignement angulaire du plan de l'équateur
; point de l'écliptique qui y correspond. Solstice d'hiver (21
ou 22 décembre), jour le plus court de l'année et solstice
d'été (21 ou 22 juin), jour le plus long de l'année
dans l'hémisphère Nord ". Cependant, la deuxième
partie de la définition offre un premier éclairage sur
la notion de renouveau rencontrée plus haut qui, il est vrai,
ne se rapporte qu'à des civilisations de l'hémisphère
Nord. Au lendemain du solstice d'hiver, les jours s'allongent, ce dont
nous pouvons nous rendre compte le matin à notre réveil
: il y fait à partir de ce jour un tout petit peu plus clair
que la veille. On comprend mieux également l'usage des bougies
à Noël et le thème de la lumière contenu dans
le mot même d'Epiphanie. Prennent tout leur sens également
l'appellation Sol invictus - l'année était d'ailleurs
vécue par les Celtes comme une longue bataille entre le Seigneur
des Ténèbres et le Seigneur de la Lumière -, et
l'image du bouleau précédemment évoquée.
De même, la profusion de nourriture dont fait preuve la fête
de Noël est comme la promesse, la projection d'une année
à venir riche et abondante, à l'image des beaux jours
de printemps qu'annonce l'allongement du jour.
Toutefois, la première partie de la définition, tout comme
l'étymologie, demeure obscure. Que signifient en effet cet "
éloignement angulaire du plan de l'équateur ", ou
encore le terme " écliptique ", et cet " arrêt
du soleil " ? De plus, de quels moyens disposaient ces civilisations
anciennes pour repérer ces jours de solstice comme étant
le plus long et le plus court de l'année alors que l'aiguille
des minutes, seul outil capable d'une telle précision, n'apparut
sur nos horloges qu'au XVIIe siècle ? Sans doute, pour mieux
comprendre, devais-je faire moi-même l'expérience du solstice.
III- OBLIQUITE DE LA TERRE
J'ai alors observé le soleil depuis la fenêtre de mon appartement
(nous étions à la mi-septembre) et j'ai constaté,
à ma grande surprise, qu'il se couchait chaque jour un peu plus
sur ma gauche : entre la troisième et la quatrième cheminée
de l'immeuble d'en face, puis, le lendemain, entre la quatrième
et la cinquième, etc. Afin d'avoir davantage de données,
je mis mes parents à contribution. De leurs fenêtres également
orientées plein ouest, ils ont alors observé que le soleil
se couchait plus ou moins derrière le Sacré Cœur.
Mais possédant une vue parfaitement dégagée du
haut de leur onzième étage et par conséquent aucun
repère aussi précis que mes petites cheminées distantes
d'au plus trente centimètres, ils ne surent établir si
le soleil se couchait également de plus en plus sur leur gauche.
Cependant, ils m'affirmèrent se souvenir qu'il se couchait en
été nettement à droite de ce monument. Cette information
m'avait d'abord paru étrange. Aussi avais-je pris un plan de
Paris pour en avoir le cœur net, plan que je reproduis très
grossièrement ci-dessous, auquel j'ajoute des pointillés
représentant les rayons du soleil. J'y indique également
la Porte de Pantin, lieu de résidence de mes parents.
Ce schéma de Paris présente une direction verticale du
pôle Nord, conformément au schéma ci-dessous représentant
la course de la Terre autour du soleil, ainsi que son axe de rotation
sur elle-même.
Or le schéma de Paris fait immédiatement apparaître
une contradiction : à en croire les pointillés, mes parents
auraient dû voir le soleil se coucher tous les jours de l'année
derrière le Sacré Cœur, ce qui n'était pas
le cas en été. Pourtant, le plan de Paris dont je me suis
servi révèle que ce monument est bien à la même
" hauteur " que la Porte de Pantin, ce dont rend compte ma
reproduction. La seule solution pour sortir de ce dilemme est alors
de faire basculer Paris de manière à ce que les pointillés
passent " au-dessus " du Sacré Cœur, conformément
à l'observation de mes parents qui avaient vu le soleil se coucher
en été nettement à droite de ce monument, soit
beaucoup plus au nord. Le schéma ci-dessous semble bien ne contenir
aucune erreur puisque le Sacré Cœur et la Porte de Pantin
gardent la même hauteur par rapport au nord - la même latitude.
Or, si nous sommes contraints d'incliner la ville de
Paris, et par conséquent la France et même la Terre, c'est
que l'axe des pôles - l'axe de rotation de notre planète
sur elle-même - n'est pas vertical - ce dont d'ailleurs rendent
compte nos mappemondes. Le schéma correct de la course de la
Terre autour du soleil est donc le suivant puisqu'il présente
une ville de Paris " penchée " vers le soleil le 21
juin, soit au début de l'été (je rappelle que Paris
est dans l'hémisphère Nord).
IV- CONSEQUENCES
DE CETTE OBLIQUITE : TROIS EXPERIENCES DU SOLSTICE
1- Première expérience : deux
points limites sur la ligne d'horizon
Une donnée aussi remarquable que l'inclinaison de la Terre devait
sans doute avoir un lien avec le solstice. J'ai alors isolé du
schéma précédent les deux images de la Terre aux
solstices d'été et d'hiver (21 juin et 22 décembre).
Signalons pour la compréhension des schémas suivants que
le point noir me représente et rappelons que mes fenêtres
sont orientées plein ouest. J'ai également grisé
la demi-sphère se trouvant à l'ombre du soleil, et qui
représente la nuit pour les personnes habitant cette partie de
la Terre.
Ces schémas révèlent que lorsque je vois le soleil
se coucher derrière la ligne d'horizon ou, pour le dire autrement,
lorsque j'entre dans la zone d'ombre, il disparaît sur ma droite
en été et sur ma gauche en hiver. Le déplacement
progressif de son coucher vers la gauche du 21 juin au 22 décembre,
et que j'avais observé à la mi-septembre, était
donc logique. Le soleil se couche en hiver de plus en plus en direction
du sud-ouest, s'arrête, puis reprend sa course dans l'autre sens
pour atteindre en été une position maximale en direction
du nord-ouest, et tout recommencer. Les solstices ne sont donc que deux
bouts de course sur la ligne d'horizon. (Signalons que seule l'inclinaison
de l'axe des pôles permet de confirmer les observations de mes
parents et les miennes. Si l'axe n'était pas incliné,
le soleil se coucherait tous les jours plein ouest, soit derrière
le Sacré Cœur pour mes parents.)
Le bonhomme du schéma ci-dessous pourrait bien me représenter
puisque mes fenêtres sont orientées plein ouest. (Le zénith
définit le point le plus haut dans le ciel.)
Copyright
Walter-Robert Corti, Le soleil, Arthaud, 1961
Un bref aperçu des sites archéologiques tend à
prouver que les Anciens usèrent de cette expérience pour
la mesure des solstices. C'est, par exemple, la position du soleil couchant
au solstice d'hiver qui a déterminé l'orientation du temple
maya de Palenque. Les rayons du soleil, à mesure que l'astre
tombait, semblaient descendre les marches jusqu'à la tombe du
roi Pakal. La mort du soleil faisait ainsi écho à celle
du roi. Et c'est encore cette expérience dont usèrent
les prêtres-astronomes de Stonehenge ou d'Abou Simbel en Egypte,
cette fois-ci pour la mesure du solstice d'été.
Constatant l'éloignement progressif du soleil, les Anciens craignaient
certainement qu'il ne quitte définitivement la Terre et les hommes.
Quoi qu'il en soit, le problème que posait l'étymologie
semblait réglé. De même en ce qui concerne la mesure
du solstice : il devient en effet inutile d'accomplir la tâche
difficile de la mesure de la durée du jour puisqu'il suffit simplement
d'observer le coucher du soleil et d'attendre le jour de son éloignement
maximal sur la ligne d'horizon. Observations particulièrement
aisées puisque le soleil à son coucher émet une
lumière bien moins aveuglante qu'en pleine journée et
qu'il offre aussi quantité de repères comme nous avons
pu le voir avec les petites cheminées.
2- Deuxième expérience : jour
le plus court ou le plus long de l'année
Mais il reste un point à éclaircir. Comment, connaissant
l'inclinaison de la Terre, comprendre l'allongement du jour à
partir du solstice d'hiver, expérience que semblent avoir vécue
toutes les civilisations anciennes, donnant lieu aux croyances et aux
rites que nous savons ?
Copyright
Walter-Robert Corti, Le soleil, Arthaud, 1961
Concentrons-nous
sur le cercle du globe sur lequel est placé le bonhomme et
qui définit la latitude de la France. Nous remarquons alors
qu'en hiver la partie du cercle éclairée par le soleil
est beaucoup plus courte que sa partie à l'ombre. La Terre
tournant autour de l'axe des pôles (un tour complet lui demande
une journée d'environ 24 heures), cela entraîne que
le jour y est beaucoup plus court que la nuit ; et inversement concernant
l'été, six mois plus tard. Ce raisonnement, établi
pour la France, est évidemment valable pour tous les habitants
de l'hémisphère Nord. Les habitants de l'hémisphère
Sud ont leurs saisons inversées par rapport aux nôtres.
Mais revenons au schéma représentant la révolution
de la Terre autour du soleil et concentrons-nous maintenant sur
les deux autres images dont nous n'avons pas encore parlé.
Elles offrent en effet une particularité qui nous permettront
de mieux saisir encore l'allongement (ou le raccourcissement) du
jour entre deux solstices.
J'ai fait pivoter le schéma précédent d'un
quart de tour et apparaître l'ombre du soleil.
Quel que soit le cercle (la latitude) considéré du
globe terrestre, on constate alors que sa partie éclairée
est de même taille que sa partie à l'ombre, soit un
demi-cercle. La nuit est pour tous les habitants de la Terre, quel
que soit leur hémisphère, aussi longue que le jour.
C'est l'équinoxe de printemps (20 mars), du latin equus
" égal " et nox " nuit ", phénomène
qui se reproduit six mois plus tard à l'équinoxe d'automne
(23 septembre). Ces jours si particuliers étaient également
connus de la plupart des civilisations anciennes et furent l'objet,
tout comme les solstices, de nombreuses croyances ou rites. Pour
preuve : au moment des équinoxes, le soleil au couchant projette
sur la rampe de l'escalier nord de la pyramide d'El Castillo du
site de Chichen Itza, situé dans le Mexique actuel, l'ombre
de l'angle du bâtiment, formant ainsi le corps d'un serpent
ondulant, animal central dans les croyances mayas. Et, en Occident,
les sanctuaires mithriaques sont orientés de sorte qu'à
l'équinoxe de printemps le soleil levant vienne frapper l'image
cultuelle de Mithra.
Résumons : à partir du solstice d'hiver, les jours
s'allongent de plus en plus jusqu'au solstice d'été
où la nuit commence à reprendre le dessus et ainsi
de suite, avec au passage deux étapes remarquables : l'équinoxe
de printemps qui marque la victoire du soleil sur la nuit, puisque
c'est à partir de cette date que les jours sont plus longs
que les nuits, et l'équinoxe d'automne qui marque sa défaite.
La décision que prirent les Pères de l'Eglise de fixer
la fête de la naissance du Christ le 25 décembre se
trouva légitimée par une phrase du Nouveau Testament
que Saint Jean Baptiste aurait prononcée après avoir
baptisé le Christ : " Il faut qu'il croisse et que je
diminue " (Evangile de Jean). Il cède la place à
Jésus, tout comme la nuit cède la place au jour au
solstice d'hiver ; la fête de la naissance de Saint Jean Baptiste
sera alors fixée le 24 juin, jour très proche du solstice
d'été.
On trouve une image tout à fait analogue dans le mithraïsme
mais en rapport avec les équinoxes : un personnage portant
une torche levée pour représenter le soleil de printemps
et une torche baissée pour le soleil d'automne.
Signalons enfin que si la Terre n'était pas inclinée,
les parties au soleil et à l'ombre de chacun des cercles
du globe terrestre seraient de même longueur. Nous aurions
donc tout au long de l'année des journées de même
durée que les nuits, ce qui est contraire à l'observation
: les jours sont plus courts en hiver qu'en été.
Il apparaît donc que le solstice puisse s'appréhender
de deux manières différentes : par rapport à
la position du coucher du soleil sur la ligne d'horizon ou bien
par rapport à la durée du jour. Mais comment les Anciens,
eux, le concevaient-ils ? Question d'autant plus troublante qu'une
troisième expérience semble possible.
3- Troisième expérience :
hauteur minimale ou maximale du soleil dans le ciel
N'avez-vous pas en effet remarqué que le soleil est en hiver
beaucoup plus bas dans le ciel qu'en été ? Pourquoi
une telle différence ? Sur le schéma ci-dessous, la
lettre S représente le soleil.
Considérons le bonhomme de gauche, celui qui se situe en
hiver. L'angle formé par les deux droites en pointillés
est très fermé : le soleil est très bas dans
le ciel. En revanche, pour le bonhomme situé en été,
cet angle est très ouvert : le soleil est très haut
dans le ciel. Le soleil est donc beaucoup plus bas en hiver, ce
qui correspond à l'observation. Aux équinoxes, il
se trouve à une hauteur intermédiaire.
On sait que les Mayas pratiquaient beaucoup de sacrifices au cours
desquels le sang versé était censé apporter
l'énergie nécessaire à l'astre solaire pour
qu'il poursuive sa course pendant la nuit dans le monde souterrain.
Là, les Mayas pensaient en effet que des divinités
maléfiques cherchaient à freiner son élan.
Peut-être alors la perte de hauteur du soleil au solstice
d'hiver occasionnait-elle encore davantage de sacrifices ?
Un ami m'a par ailleurs fait remarquer que le soleil tombait bien
plus lentement en hiver qu'en été où son ascension
et sa descente s'effectuent à vive allure, et qu'il semblait
même s'immobiliser dans le ciel. L'étymologie sol
stare, " le soleil s'arrête ", renverrait-elle
à cette observation et non à celle évoquée
plus haut de la position maximale de son coucher sur la ligne d'horizon
?
Signalons encore que si l'axe des pôles n'était pas
incliné, la Terre représentée à gauche
aurait été symétrique de celle de droite. Aussi
le bonhomme de gauche aurait-il eu une position analogue à
celui de droite et le soleil aurait été observé
dans le ciel avec le même angle aux deux saisons, ce que démentent
les variations de hauteur qu'il subit au cours de l'année.
CONCLUSION
Les trois expériences du solstice d'hiver que nous avons recensées
- jour le plus court de l'année, soleil au plus bas dans le
ciel et position extrême de son coucher sur la ligne d'horizon
- sont les manifestations d'un seul et même phénomène.
C'est du moins ce que prouvent les nombreux schémas de l'article,
car d'un point de vue pratique, je n'ai évidemment rien pu
vérifier. Il aurait fallu en effet que je chronomètre
avec la plus grande précision la durée séparant
le lever du coucher du soleil, observations qui ne vont pas d'elles-mêmes
puisqu'elles supposent de jouir d'une vue parfaitement dégagée
et que je sois à l'affût à ces moments précis
de la journée. Ensuite, il aurait fallu que je sois capable
de mesurer la hauteur du soleil dans le ciel, alors même que
je ne peux l'observer de face. J'aurais certes pu m'en sortir en mesurant
la taille de l'ombre d'un piquet : plus elle est courte, plus le soleil
est haut dans le ciel, et inversement ; reste que la hauteur du soleil
est variable au cours d'une même journée, alors comment
savoir si le soleil atteint bel et bien sa hauteur minimale en ce
jour de solstice ? Une seule mesure relative aux trois manifestations
recensées plus haut est cependant très accessible :
celle qui met en jeu le coucher du soleil, puisque, rappelons-le,
n'intervient ici qu'une seule coordonnée spatiale : la position
qu'il occupe sur la ligne d'horizon. Dans le cas présent, la
précision des petites cheminées suffisait amplement.
Il semble ainsi assez difficile d'établir avec des moyens simples
d'observation la coïncidence de ces trois manifestations. Mais
d'un point de vue théorique - schémas de l'article -
elle s'établit sans trop de difficultés.
On peut alors émettre un doute sérieux sur l'intelligence
qu'avaient les Anciens de ce phénomène de solstice,
eux qui ne possédaient ni la précision de nos instruments
de mesure, ni les schémas précédents puisqu'ils
supposent de savoir que l'axe de la Terre est incliné et au
préalable que c'est la Terre qui tourne autour du soleil et
non l'inverse ? Pourtant, il semble bien qu'ils aient entrevu un lien
direct entre ces trois manifestations. Les quelques sites archéologiques
que nous avons évoqués, orientés de manière
à mesurer les solstices ou les équinoxes, prouvent en
premier lieu qu'ils avaient pris connaissance des différentes
positions du soleil à son coucher. Ensuite, l'ensemble des
croyances ou rites relatifs à la renaissance du soleil ou à
sa victoire sur la nuit semble accréditer l'hypothèse
selon laquelle ils appréhendaient le solstice grâce à
sa hauteur dans le ciel et à la durée du jour. Mais
ont-ils compris avec la même intelligence que la nôtre
que ces trois événements n'étaient que les manifestations
d'un seul et même phénomène ? Sans doute pas,
car alors comment interpréter que les adorateurs de Mithra
aient commis une " erreur " de quatre jours sur la mesure
du solstice, le fixant au 25 décembre au lieu du 21 actuel
? Et que penser de l'Epiphanie dont l'étymologie semble clairement
renvoyer au solstice et dont la date de célébration
fut pourtant fixée au 6 janvier ? A moins que les Anciens n'aient
eu raison, et que ce soit la Terre, en modifiant sa course autour
du soleil, qui soit la seule responsable d'une telle " erreur
". En-Quêtes à suivre...
Sources :
- Laurent Malonda, Les instruments de mesure du temps, revue
En-Quêtes,
- Daniel Poza-Lazaro, Mithra (ou les métamorphoses d'un dieu
solaire), revue En-Quêtes,
- Walter-Robert Corti, Le soleil, Arthaud, 1961,
- Karine Delobbe, Noël, Histoire de fêtes, PEMF,
2003,
- N. Lemaître, M.-T. Quinson, V. Sot, Dictionnaire culturel
du Christianisme, Nathan, 1994,
- Jean Bottéro et Samuel Noah Kramer, Lorsque les dieux faisaient
l'homme, Gallimard, 1989,
- Jean Bottéro, Au commencement étaient les dieux,
L'Histoire, Tallandier, 2004
- Jean Bottéro, L'Epopée de Gilgamesh, Le grand homme
qui ne voulait pas mourir, Gallimard, 1992,
- Jean-Paul Brisson, Saturne (religion romaine), article de
l'Encyclopaedia Universalis,
- Robert Cabié, Noël, article de l'Encyclopaedia
Universalis,
- Turcan Robert, Mithraisme, article de l'Encyclopaedia Universalis,
- Sous la direction de Alain Rey, Le Robert Dictionnaire historique
de la langue française, 1992,
- Mexique, lonely planet, 5e édition,
- http://www.civilization.ca/civil/maya/mmc07fra.html,
- http://www.chez.com/ladivine/textes/yule.htm,
- http://users.belgacom.net/symbolisme/orientationfr.htm#top,
- http://www.bibliorama.com/expos/expo_babylone/babylone_fetes.htm,
- http://www.officecom.qc.ca/matiere/noel/pourquoi_noel.html,
- http://users.swing.be/mamita/mandala.htm.
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