On
dit que les cheveux repoussent plus vite si on les coupe un soir de
pleine lune, que le soleil de mai rend fou ou encore que c’est
au coucher du soleil qu’au fond des bois certains hommes se transforment
en loups-garous…
Bon nombre de croyances populaires et de mythes ancestraux reposaient
sur les appréhensions des hommes face à la méconnaissance
de l’univers et à la complexité de son fonctionnement,
mais traduisaient surtout le pressentiment, largement éprouvé
depuis par les scientifiques, d’une incidence de l’alternance
entre périodes lumineuses et périodes obscures, nommée
photopériodisme, sur la physiologie des êtres vivants en
général et de l’Homme en particulier.
Outre l’influence de facteurs extérieurs, les rythmes internes
qui animent les espèces animales et végétales sont
étudiés depuis l’Antiquité. Les Anciens distinguaient
les espèces diurnes des espèces nocturnes, dont ils étudiaient
les cycles de reproduction, d’activité et de repos, de
migration et d’hibernation, en cherchant à établir
une corrélation avec l’alternance du jour et de la nuit
et des saisons.
Ainsi, dès le XVIIIe siècle, le botaniste suédois
Carl Von Linné (1707-1778) impose auprès de ses pairs
son idée d’une horloge florale qui régirait l’ouverture
et la fermeture de différentes espèces de fleurs à
chaque heure du jour, illustrant les effets conjoints des rythmes internes
et des facteurs de l’environnement et posant ainsi les premiers
jalons de la chronobiologie moderne.
Mais ces diverses observations venaient se heurter au principe d’homéostasie
imposé jusqu’alors comme vérité première
et qui servit de précepte à plusieurs générations
de chercheurs, ainsi que le développe Claude Bernard dans son
Introduction à l’étude de la médecine expérimentale,
en 1865. Ce principe invoquant la constance du milieu intérieur
des organismes énonce que le but de chaque fonction physiologique
est de maintenir en équilibre le milieu intérieur de tout
être vivant.
Or, force fut de constater avec étonnement l’existence
de variations spontanées et rythmiques de nombreuses fonctions
physiologiques.
Se sentant alors affranchis de ce principe général et
universel et bénéficiant de cette contradiction entre
homéostasie et rythmes biologiques, les scientifiques ont pu
mener plus avant leurs investigations au sujet de l’organisation
temporelle des organismes vivants afin de répondre aux questions
suivantes : qu’est-ce qu’un rythme ? Comment prouver son
existence ? Comment ces différents rythmes qui animent nos organismes
sont-ils orchestrés ?
Un rythme est défini comme un automatisme totalement indépendant
de la volonté du sujet et qui persiste lors d’un isolement
complet vis-à-vis du milieu extérieur. Ce sont par exemple
des variations de fonctions physiologiques, neuropsychiques ou encore
de tendances instinctives.
La chronobiologie distingue trois grands groupes de rythmes biologiques,
dont la périodicité a été observée
notamment chez l’Homme : les rythmes circadiens (du latin circum,
« autour » et dies, « jour ») sont synchronisés
avec la période de révolution de la Terre sur elle-même
(24 h), comme l’alternance veille/sommeil du système nerveux
central ; les rythmes ultradiens couvrent une période inférieure
à 24 h (rythmes de haute fréquence comme la plupart des
sécrétions hormonales ou les phases de sommeil paradoxal
qui se renouvellent toutes les 90 minutes) et ceux dits infradiens qui
englobent une période supérieure à 24 h, allant
jusqu’à un an ou plus (rythmes de basse fréquence
comme les cycles menstruels de 28 jours, les grossesses de 9 mois…).
Pour la suite de l’article, nous nous intéresserons aux
seuls rythmes circadiens, puisque par définition, ils semblent
être les seuls à avoir un rapport direct avec le soleil.
Lors de leur découverte, les rythmes circadiens, qui ne portaient
alors pas encore ce nom, étaient supposés être tout
à fait indépendants les uns des autres. Or, les scientifiques
ont vite constaté que la plupart étaient synchronisés
avec la période de révolution de la Terre sur elle-même
et ont cherché à localiser le récepteur de l’alternance
des périodes lumineuses et obscures.
L’existence d’un mécanisme endogène capable
d’orchestrer tous les rythmes de l’organisme aussi précisément
que les mesures d’une partition pourrait répondre à
cette question, tout en envisageant que ce mécanisme puisse être
nuancé par des facteurs exogènes.
Pour vérifier qu’une telle horloge interne existe, il faut
pouvoir prouver que les rythmes biologiques subsistent sans repères
ni facteurs extérieurs. C’est ainsi que de nombreuses expériences
d’isolement temporel ont été réalisées.
On enferme des sujets dans un milieu clos, sans fenêtre, à
l’abri donc de l’influence de la lumière du soleil
et sans aucune montre, télévision ou radio, c’est-à-dire
sans renseignements sur le déroulement du temps à l’extérieur.
Pour seul contact avec le monde, un quotidien leur parvient chaque jour
pendant leur sommeil. Pendant cet isolement, les individus sont soumis
à un éclairage général qui leur impose un
rythme précis (16 heures de jour puis 8 heures de nuit) et ne
contrôlent qu’une petite lampe de chevet, qu’ils allument
ou éteignent au gré de leurs activités. Au cours
de cette expérience, on mesure régulièrement différents
paramètres dont la température interne, l’activité
et la durée du sommeil des sujets.
Les scientifiques constatent que les données mesurées
varient toujours rythmiquement, comme avant d’être enfermés,
mais avec un décalage d’une heure par jour environ, donc
selon une période de 25 heures. Les sujets se décalent
donc de 24 heures tous les 24 jours. C’est ainsi que si on continue
de procurer le quotidien aux sujets, le journal du jour arrivera avant
que celui de la veille n’ait été transmis !
De même, c’est souvent très surpris qu’ils
apprennent que leur enfermement a duré un mois, alors qu’ils
n’ont cru y passer que deux ou trois semaines…
Depuis, d’autres expériences « hors-temps »
ont été réalisées, notamment par le français
Michel Siffre en 1962. Il voulut tenter de survivre en milieu hostile
et sans montre afin de retrouver le « rythme originel de l’homme
», restant pour cela du 18 juillet au 14 septembre sur un glacier
souterrain à 130 mètres de profondeur. Cette aventure
éprouvante s’est néanmoins révélée
très utile pour la connaissance des rythmes biologiques : incapable
d’évaluer le temps qui s’écoulait, il estimait
à 4 heures une veille de 14 heures. A la fin de son séjour,
son estimation personnelle a 25 jours de retard sur les 58 journées
effectives passées sur le glacier. Cependant, en deux mois, la
plupart des fonctions de son organisme conservent une période
stable de 24 heures 30, avec des journées de 16 heures d’activité
suivies de nuits d’environ 8 heures, soit une à deux heures
de plus qu’à son habitude.
Depuis, ce record a été battu par J.-P. Mairetet en 1966,
qui resta enfermé six mois avec des volontaires, du ler juin
au 30 novembre.
Sur cette longue période, les chronobiologistes chargés
du suivi enregistrèrent des rythmes de 24 heures pour la température,
le pouls, le comportement alimentaire, la vigilance et la force musculaire.
Les mesures ont montré que ces rythmes se sont désynchronisés
les uns par rapport aux autres.
Toutes ces expériences nous poussent à penser qu’il
existe bien un synchroniseur endogène dans nos organismes, permettant
à nos fonctions physiologiques de conserver un rythme, mais qui
en l’absence de lumière naturelle se cale sur un rythme
d’environ 25 heures. Il semble donc que le photopériodisme
intervienne dans la régulation de nombreuses fonctions physiologiques.
Quel rôle joue alors l’alternance des périodes lumineuses
et obscures sur la régulation de nos rythmes biologiques ?
En 1858, Aaron Lerner, de l’école de médecine de
Yale, découvre qu’en détruisant l’épiphyse
(ou glande pinéale), glande du cerveau, l’organisme perd
la plupart de ses rythmes circadiens. En regreffant la glande, il retrouve
son comportement cyclique. Il constate également que cette glande
est responsable de la biosynthèse d’une hormone, la mélatonine
(du grec melas « noir » et tonos « tension »),
selon un rythme journalier très précis : en période
obscure, l’épiphyse la sécrète dans le sang,
préparant ainsi tous les organes du corps au repos de la nuit.
En revanche, la lumière inhibe sa synthèse et génère
la fabrication d’une nouvelle hormone, la sérotonine, qui
prépare l’organisme à une nouvelle journée
d’activité.
Mais cela ne nous indique toujours pas la manière dont l’épiphyse
est informée de l’alternance des périodes claires
et des périodes obscures.
Une équipe de biologistes du Texas a montré sur un lot
de rats, animaux noctambules, que l’ablation d’un amas de
cellules nerveuses, les noyaux suprachiasmatiques (NSC), situés
à proximité du croisement des nerfs optiques dans le cerveau,
conduisait les animaux à s’endormir et à s’éveiller
à toute heure du jour et de la nuit. Les animaux retrouvent des
cycles normaux si on leur regreffe les NSC.
Les investigations des chercheurs ont prouvé que ce sont les
NSC qui, par voie nerveuse, excitent l’épiphyse pendant
la nuit pour générer la synthèse de la mélatonine.
On sait désormais que ce sont les NSC qui contrôlent l’épiphyse.
Mais qu’est-ce qui impose le rythme de ces derniers ?
Sachant que les NSC ont une activité électrique qui se
reproduit toutes les 24 heures, autrement dit la durée exacte
d’un jour et d’une nuit, il nous faut déterminer
s’ils ont leur propre rythme ou si ce sont les variations de luminosité
qui leur imposent ce fonctionnement…
Ce sont les expériences d’isolement temporel qui vont nous
aider à répondre à cette question : les NSC de
sujets privés de lumière du jour conservent un fonctionnement
selon un rythme circadien, mais décalé, il dure alors
25 heures…
Il apparaît donc que les NSC ont leur propre rythme mais que celui-ci
se dérègle sous l’effet de l’éclairement
: c’est la variation de lumière sur une période
de 24 heures qui synchronise l’organisme.
Pour comprendre comment la lumière peut influencer les NSC, il
faut rappeler qu’ils sont localisés à la jonction
des nerfs optiques et que l’œil reçoit la lumière
au niveau de la rétine. C’est celle-ci qui, par voie nerveuse,
va informer les NSC des fluctuations de luminosité et nous régler
sur des cycles de 24 heures.
Ainsi, nous venons de comprendre comment notre horloge biologique endogène
était régulée par l’alternance des périodes
claires et des périodes obscures.
Ces connaissances nous permettent de mieux comprendre certains troubles
physiologiques, en particulier ceux liés aux décalages
horaires.
Les effets de décalages horaires expérimentaux ont été
étudiés par M. Siffre en 1972 sur des singes dont on a
à plusieurs reprises inversé le rythme de 24 heures en
créant un rythme artificiel de 12 heures.
« Tous les singes souffraient de névroses qui persistèrent
plusieurs mois après s’être réadaptés
à une vie normale. L’un des singes était très
excité, un autre se tenait prostré dans un coin de sa
cage (…). Quant au troisième, il répondait de façon
absolument discordante aux sonneries… »
De même, les voyages rapides qui impliquent le franchissement
des fuseaux horaires (Jet Lag) provoquent un décalage de phase
puis une désynchronisation des fonctions physiologiques, pouvant
entraîner des complications si ces désordres se prolongent.
D’ailleurs, la désynchronisation dépend du sens
du déphasage : il n’en est pas de même si on va de
Paris à New-York ou de New-York à Paris, les fuseaux horaires
n’étant pas traversés dans le même sens. Lors
de voyages vers l’Ouest, la durée de déphasage est
plus courte et permet un réajustement plus facile qu’un
voyage vers l’Est.
Pour modérer les effets du Jet Lag et resynchroniser son horloge,
il est conseillé de ne pas céder à l’appel
de la sieste et de s’exposer rapidement à la clarté
du jour afin que l’horloge interne s’adapte au nouveau fuseau
horaire.
Il est une pathologie qui nécessite également un traitement
par simple exposition au soleil : la dépression hivernale.
On sait que la sécrétion de mélatonine la nuit
contrôle les rythmes circadiens. Cette sécrétion
est inhibée par la lumière de faible intensité.
Or en hiver, lorsque les jours raccourcissent et que la luminosité
décroît, certaines personnes sont sujettes à une
déprime passagère. Chez ces patients, la synthèse
de mélatonine intervient trop tardivement dans la nuit et génère
un ensemble de symptômes psychologiques que l’on regroupe
communément sous le terme de « dépression hivernale
».
Pour que la production de mélatonine se recale et intervienne
plus tôt dans la soirée, on utilise la luminothérapie
: en exposant les sujets à une lumière de forte intensité
dès le matin, on resynchronise le cycle de fabrication de cette
hormone, permettant la disparition simultanée des symptômes.
Outre la diminution de l’intensité lumineuse en hiver,
de nombreux facteurs peuvent désorganiser les rythmes biologiques
d’un individu : le travail de nuit, le manque de sommeil, le bruit,
le stress…
Le 10 avril 1912, le paquebot insubmersible Titanic quitte Southampton
pour son voyage inaugural à destination de New-York. Au cours
de ce voyage rapide vers l’Ouest, il faut retarder l’horloge
de 40 minutes tous les jours : chaque journée dure environ 25
heures. Le 14 avril à 23h30, par une nuit calme et claire, le
navire heurte un iceberg. Ce naufrage est la première grande
catastrophe des temps modernes typique d’une société
dont les projets ignorent les rythmes de la physiologie humaine : en
4 jours, 3 fuseaux horaires ont été franchis vers l’Ouest.
A l’horloge physiologique des hommes de l’équipage,
il est 8 heures du matin au moment de l’accident, leurs facultés
psychosensorielles sont réduites au minimum, accroissant la probabilité
d’erreurs d’appréciation.
Après étude de 11 000 accidents de travail (dont les plus
meurtriers eurent lieu à Bhopal en Indes, en décembre
1984, lors de l’explosion à 02h00 de trois cuves d’une
usine de fabrication de pesticides et à Tchernobyl en URSS en
avril 1986, lors de l’explosion à 01h23 d’un réacteur
de la centrale nucléaire), on sait que les accidents sont moins
fréquents mais plus graves lorsqu’ils se produisent la
nuit.
En effet, une nuit sans sommeil donne les mêmes perturbations
psychomotrices et sensorielles qu’1g/l d’alcool éthylique
dans le sang !
Dans le règne animal, on peut assister à toutes sortes
de comportements cycliques : les animaux diurnes se nourrissent le jour
et dorment la nuit – les animaux nocturnes faisant l’inverse
–, ils se reproduisent au printemps, certains hibernent à
la fin de l’automne, d’autres fuient les contraintes climatiques
en migrant…
Ils semblent s’adapter de façon à exécuter
leurs comportements au moment où ils peuvent exploiter sûrement
et avantageusement les ressources de leur niche écologique. Il
apparaît donc que les êtres vivants sont sensibles aux indices
du milieu (éclairement, température, disponibilité
en nourriture…).
Pourtant, les nombreuses expériences menées ont conduit
les chercheurs à pencher pour l’existence d’une horloge
endogène qui permet aux cycles de perdurer même lorsque
les animaux sont placés dans un environnement où rien
ne les renseigne sur le déroulement du temps.
Il n’est en fait pas nécessaire de trancher entre régulation
exogène et endogène des rythmes : la plupart des rythmes
circadiens dépendent d’une horloge biologique qui, faute
de coïncider exactement avec le temps réel (puisque sa période,
même si les variations individuelles ne sont pas à négliger,
est d’environ 25h) doit s’assortir d’un synchronisateur
exogène, la lumière pour les rythmes circadiens. C’est
ce rythme endogène qui nous permet de conserver des cycles réguliers
alors que le Soleil n’offre jamais le même visage au cours
de l’année…
Mais si on croit en l’existence d’une horloge endogène,
aucune expérience n’a, à ce jour, permis d’en
révéler la nature.
On peut cependant s’interroger, pour finir, sur le décalage
entre la période de révolution de la Terre sur elle-même
(24h) et les rythmes endogènes de l’Homme (25h). En effet,
si on considère que la Terre est un produit du Soleil et que
l’Homme est un produit de la Terre, comment comprendre cette heure
de décalage ?
Il est intéressant de constater que la nature a donné
à l’Homme une horloge interne en harmonie avec ses propres
lois (c'est-à-dire avec la période de révolution
de la Terre), et que pourtant, elle semble ne pas avoir œuvré
jusqu’au bout dans la mesure où un décalage d’une
heure persiste…
Il ne paraît donc pas aberrant de se demander comment l’Evolution
a pu permettre l’avènement d’un groupe aussi approximativement
adapté à une Terre qui tourne finalement trop vite pour
lui… L’Homme ne serait-il pas un enfant du Soleil ?…
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