Louis
XIV (1638-1715) est dans l'Histoire de France le " Roi-Soleil ",
un souverain orgueilleux et belliqueux, qui impose à son royaume
et à l'Europe son pouvoir absolu par la soumission et la guerre.
Dès le début de son règne personnel en 1661, il
choisit le soleil pour emblème et il met son pouvoir en scène
dans une stricte étiquette qui règle la vie de la Cour
et dans le dessin très rigoureux et géométrique
des jardins de Versailles.
1. UN ROI ABSOLU DE DROIT DIVIN
À la mort du cardinal de Mazarin en 1661, Louis XIV décide
de gouverner personnellement, sans Premier ministre. L'arrestation de
Nicolas Fouquet, surintendant des Finances, quelques mois plus tard,
laisse le roi libre d'établir une monarchie absolue de droit
divin.
Le sacre du jeune roi à Reims en 1654 lui donne un véritable
caractère religieux. Le jeune souverain reçoit les symboles
du pouvoir que sont la couronne, le sceptre, la main de justice, le
manteau, l'anneau, et l'épée. Comme tous ses prédécesseurs,
Louis XIV reçoit l'onction et le pouvoir de Dieu de guérir
les écrouelles : le roi est thaumaturge.
Le jeune roi a conscience de sa puissance et il ne cessera de la mettre
en scène tout au long de son règne.
Profondément marqué par la révolte des Grands seigneurs
lors de la Fronde (1648-1653), Louis XIV a un immense orgueil qui se
traduit dans le choix de son emblème, le soleil, et de sa devise,
" Nec pluribus impar " (N'a pas d'égal, Supérieur
à tous, Au-dessus de tous...).
Il doit posséder un palais à la hauteur de sa politique
et lance dès 1661 les travaux d'agrandissement du petit château
qu'il a hérité de son père à Versailles.
Le roi engage les artistes-bâtisseurs de Vaux-le-Vicomte, le château
de Fouquet : l'architecte Le Vau, le peintre Le Brun et Le Nôtre,
architecte des jardins.
Le monarque dirige tout et n'hésite pas à corriger les
plans et les esquisses des artistes. Le château qui sort de terre
sur la colline de Versailles, autour du relais de chasse de Louis XIII,
doit réfléchir le pouvoir et la puissance. Louis XIV devient
Apollon-Phoïbos, divinité de la beauté, des arts
et du soleil.
2. L'AXE SOLAIRE
Le roi met en
scène son pouvoir de monarque absolu en organisant l'espace
de sa nouvelle résidence autour de l'astre solaire et de son
axe Est-Ouest correspondant à sa trajectoire dans le ciel du
lever jusqu'au coucher. Cet axe est divisé en deux parties
: l'axe royal et l'axe apollonien.
a. L'axe royal
L'ancien village de Versailles est détruit. Ses habitants sont
déplacés de plusieurs lieues et la " ville nouvelle
", avec ses hôtels particuliers et ses communs (écuries,
cuisines, ...), est bâtie à l'Est, au Levant. L'axe royal
ou axe politique est la représentation du pouvoir monarchique
sur le royaume. Versailles est la capitale et le roi est en son centre.
L'extrémité ouest de l'axe royal est la Chambre du Roi,
éclairée par les premiers rayons du soleil en été
comme en hiver, tout au long de l'année.
La vie de la Cour est réglée par une stricte étiquette
et la Chambre du Roi est au centre d'un cérémonial immuable.
Chaque moment de la vie du souverain marque la place de chacun et fixe
les rangs, certaines prérogatives étant liées à
la naissance ou à la faveur royale.
Chaque matin, la Cour assiste au Lever du Roi.
A 7 h 30, le roi est réveillé par le premier valet, homme
de confiance qui dort dans la chambre du monarque. Ce dernier est examiné
par son médecin. Ce moment est appelé le Petit Lever au
cours duquel quelques courtisans ont un rôle strictement défini
: l'un aide le roi à sa toilette, un autre à s'habiller.
Chacun espère un regard, une faveur.
A 8 h 15, le monarque se lève devant la Cour : c'est le Grand
Lever. Dès cet instant, le roi vit en public devant une noblesse
docile, humiliée depuis l'échec des Grands seigneurs lors
de la Fronde.
b. L'axe apollonien
L'axe royal est ensuite poursuivi dans les jardins par l'axe apollonien,
qui s'étend du château au Grand Canal, en passant par les
bassins de Latone et d'Apollon. C'est la perspective majeure de Versailles
que Le Nôtre a ouverte sur l'infini et qui conduit le regard jusqu'à
l'horizon, de la Galerie des Glaces au delà du Grand Canal.
La jeunesse de Louis XIV et les symboles du pouvoir royal sont mis en
scène dans les jardins dessinés par Le Nôtre. Leur
aménagement profite de la pente naturelle de la colline sur laquelle
est construite la résidence. Les travaux gigantesques de terrassement
et de drainage, ainsi que les plantations dureront plus d'une dizaine
d'années, transformant les bois, les prairies et les marécages
en parterres, en jardins à la française, où le
dessin rigoureux et géométrique doit mettre en valeur
le château.
Les parterres du Nord, du Midi et d'Eau sont de vastes surfaces horizontales
ou très légèrement inclinées, disposées
sur différents niveaux et reliées entre eux par des escaliers
ou des rampes en pente douce. Ils sont le prolongement du château
et sont destinés à le mettre en valeur.
Le Parterre d'Eau ou Parterre occidental est composé de deux
bassins rectangulaires reflétant la lumière et éclairant
la façade de la Galerie des Glaces. La lumière est un
élément très important du décor au même
titre que la végétation. Dans la composition des jardins,
Le Nôtre équilibre les masses d'ombre et de clarté.
Aux pieds de la Grande Galerie s'étendent les bassins, les sculptures
et les bosquets représentant le royaume, à travers les
fleuves et les rivières des provinces de France. Cette première
partie des jardins représente le pouvoir, la symbolique du pouvoir
sur l'ensemble du domaine royal qui se confond à la fin du XVIIe
siècle à l'ensemble du royaume. Le roi peut admirer ou
faire admirer à ses hôtes son royaume de la Grande Galerie,
ou dès qu'il se promène.
Aux pieds des marches des Degrés s'ouvre un deuxième espace
où les bassins et les sculptures représentent différents
épisodes de la vie du souverain à travers la mythologie
grecque et romaine.
Le bassin de Latone
Le premier grand bassin sur l'axe apollonien est celui de Latone, mère
du dieu solaire Apollon-Phoïbos. La sculpture de la fontaine représente
la transformation en grenouilles et en tortues, par Zeus, des villageois
de Lycie qui avaient chassé Latone, enceinte d'Apollon et d'Artémis.
Cette scène n'est pas uniquement la représentation du
mythe grec. Elle rappelle un des épisodes les plus marquants
de la jeunesse de Louis XIV : la Fronde entre 1648 et 1653. Latone est
en réalité la reine-mère, Anne d'Autriche, chassée
du Louvre en 1648 avec ses deux fils, le jeune roi Louis et son frère
Philippe, le duc d'Orléans. La famille royale fuit vers Saint-Germain-en-Laye.
Les grenouilles et les tortues sont les Parlementaires, le peuple de
Paris et les Grands seigneurs qui refusent la politique du cardinal
de Mazarin et le contrôle de l'administration royale dans les
provinces. Le châtiment olympien rappelle l'écrasement
de la Fronde en 1653 et le triomphe du monarque.
Cet épisode marquera à jamais le roi tout au long de son
existence et sa volonté de surveiller la noblesse. Il est l'acte
fondateur de toute la politique de Louis XIV et de sa volonté
de soumettre la noblesse à son pouvoir.
La reine Anne d'Autriche-Latone est tournée au loin, à
l'Ouest, vers le Bassin d'Apollon-Louis XIV.
Une première inversion dans l'axe solaire ?
Tournée vers l'est, la sculpture du Bassin, exécutée
par Tuby en 1668, représente le dieu du soleil sortant de l'onde,
assis sur un char tiré par quatre chevaux, tandis que quatre
tritons soufflent dans des conques pour annoncer l'aurore. Apollon se
prépare ainsi à effectuer sa course autour de la Terre.
Les deux bassins et les sculptures se font face.
Apollon-Phoïbos, incarnant le lever du soleil, est tourné
vers le château, donc vers l'Est. Le soleil se lèverait-il
à l'Ouest dans les jardins de Versailles? L'axe solaire serait-il
inversé ? Le pouvoir absolu de Louis XIV peut-il le permettre
?
Les bassins des saisons : une seconde inversion ?
Une autre inversion des points cardinaux existe dans la disposition
de fontaines dans les jardins.
Quatre pièces d'eau sont disposées de chaque côté
de l'axe apollonien. Elles représentent des divinités
grecques, incarnant les quatre saisons : Flore est le printemps, Cérès
l'été, Bacchus l'automne et Saturne l'hiver.
Nous observons que les bassins
des saisons les plus froides (automne et hiver) sont situés au
sud, plus ensoleillé, et les bassins des saisons les plus chaudes
(printemps et été) au nord, où les journées
sont plus courtes et où le soleil nourricier est le plus faible.
Le Nord et le Sud sont ainsi inversés ? Le pouvoir du roi peut-il
bouleverser les points cardinaux ?
Les raisons de ces deux inversions sont toutefois différentes.
Les raisons symboliques et politiques de ces deux inversions
Certes le bassin d'Apollon montre le soleil se levant à l'Ouest,
mais il ne faut pas voir ici une inversion " volontaire "
de l'axe solaire. Le bassin délimite à l'Ouest les jardins,
la partie du Grand Parc que le roi peut visiter en compagnie de la Cour
et de ses hôtes. Au-delà s'allonge le Grand Canal jusqu'à
l'horizon, vers les collines et la forêt où se couche le
soleil. Le bassin d'Apollon est ainsi à l'image du château
dominant la ville. Devant l'immensité située à
l'Ouest qu'il éclaire de ses premiers rayons, il est le soleil
Levant, la montée du roi sur le trône, son triomphe et
son règne sur les cours étrangères. Le Roi-Soleil
ne se couche pas. Son pouvoir ne faiblit jamais, ni sur les jardins
de Versailles, la Cour, le royaume de France et le reste du monde. Enfin,
le soleil doit être levant car le roi brille devant une cour obligée
d'admirer son triomphe.
Toutefois, l'inversion des points cardinaux Nord et Sud dans l'implantation
des bassins des quatre saisons est exigée par le souverain ;
le Nord est au Sud et le Sud au Nord dans les jardins de Versailles
où le soleil ne se couche jamais.
Une pièce d'eau au Sud-Est de celle d'Apollon est appelée
le Miroir du roi et sa forme est très caractéristique.
Ce bassin, aujourd'hui disparu, aménagé depuis le règne
de Louis XVI en jardin à l'anglaise, forme avec l'ensemble des
jardins un vaste miroir où le Roi-Soleil se reflète. Les
rayons de son pouvoir sont renvoyés vers toutes les provinces
du royaume, les cours étrangères et le monde par l'eau
des bassins, des fontaines et du Grand Canal.
CONCLUSION
Reprenant une longue tradition allégorique romaine et byzantine,
Louis XIV est le dieu du Soleil, des arts et de la beauté. La
cérémonie du Lever du Roi est le symbole de ce culte solaire
de la personne du roi.
Les jardins de Versailles sont un instrument de propagande politique.
Ils sont l'écrin des fêtes et des fastes en l'honneur du
roi et mettent en scène la monarchie absolue. Le Nôtre
organise l'espace autour de l'axe solaire et s'appuie sur l'image du
roi à travers Apollon-Phoïbos et la mythologie grecque et
romaine dans les bassins, les parterres et les bosquets.
L'image du Roi-Soleil incarne la volonté du souverain de maîtriser
la Nature (les pentes, les marais, les arbres et la végétation),
qui repousse les limites de son royaume et qui inverse les points cardinaux,
bouleversant ainsi l'axe des pôles.
Le pouvoir royal ne faiblit pas et le soleil ne se couche pas sur le
royaume de France.
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