Le temps - Archives

Les archives de la terre

par Héloïse Chastanet

 


Dès qu'il s'agit de reconstituer l'histoire de la Terre et de la vie, les références temporelles qui nous sont familières (minutes, jours, années...) deviennent inopérantes.

Retrouver cette histoire suppose une reconstitution de l'ordre dans lequel se sont succédés des évènements très anciens et de très longue durée.

La question de la datation des phénomènes passés n'est pas neuve. La détermination de l'âge de la Terre, par exemple, est une préoccupation très ancienne. Mais pour appréhender le lointain passé de la Terre et découvrir la date de sa formation, les scientifiques se sont longtemps heurtés aux objections philosophiques et religieuses qui n'envisageaient qu'une courte durée entre la Création du monde et le présent (6000 ans). En Occident par exemple, de l'étude de la Bible étaient tirées la date et parfois l'heure précise de la Création de la planète.

Des données plus objectives telles que les vitesses de dépôt des sédiments dans l'eau ou les vitesses de désagrégation des roches par les agents d'érosion (eau, vent...) furent également employées. Dès 450 avant J.-C., Hérodote tente d'évaluer le temps mis par le Nil pour réaliser son delta : il mesure pour cela la vitesse d'accumulation des alluvions (sédiments) dans l'embouchure du fleuve. D'autres après lui essayèrent de calculer l'âge de notre planète : Ussher (1581-1656) estima qu'elle s'était formée en 4004 avant J.-C., le 23 octobre à midi ! Mais évidemment, l'incertitude et l'imprécision de ces estimations limitent l'utilisation de telles méthodes.

Depuis, les géologues ont développé des outils qui ont permis, en interprétant les traces inscrites dans les roches et les fossiles, de reconstituer une histoire de la biosphère (monde vivant) et de la géosphère (monde minéral), mais n'ont pu que décrire l'ordre dans lequel se sont succédés des évènements sans pouvoir encore leur attribuer d'âge.

Ce n'est que beaucoup plus récemment que cette datation relative a pu être calibrée et devenir "absolue", en plaçant les phénomènes géologiques sur une échelle des temps graduée en milliers ou en millions d'années.

À la lumière de telles avancées, on peut se demander quels sont les critères qui ont été retenus par les géologues pour effectuer le découpage des temps géologiques en ères, périodes, etc., et comment ils procèdent pour dater avec autant de précision des évènements d'un passé si lointain à l'échelle de la vie humaine.


Une première façon d'approcher l'histoire de la Terre consiste à établir l'ordre dans lequel des formations géologiques (superposition de couches rocheuses) se sont mises en place, et à repérer, par rapport à cette succession, des évènements géologiques tels que des phases de contraintes tectoniques (reconnaissables à la présence de plis, de failles...).

Au cours d'une telle démarche, les quatre grands principes de la stratigraphie sont systématiquement mis en application :
- le principe d'actualisme, qu'énonce Lyell en 1830 : "Les lois régissant les phénomènes géologiques actuels étaient également valables dans le passé",
- le principe de superposition, qui concerne les structures géologiques qui se sont formées par dépôts successifs (sédimentaires ou volcaniques). Dans une telle série, une couche quelconque est plus récente que la couche qu'elle recouvre et plus ancienne que la couche sus-jacente,
- le principe de continuité, selon lequel une même couche est de même âge en tous points,
- le principe de recoupement enfin, selon lequel un corps rocheux (ou une faille) qui en recoupe d'autres est plus jeune que ceux qu'il affecte (par exemple, si une faille recoupe deux couches rocheuses horizontales A et B, mais pas la troisième nommée C, on peut conclure que la faille, et donc l'épisode tectonique associé, est postérieure aux dépôts A et B, mais antérieure à C qui n'est pas affectée). Les observations de terrain permettent ainsi une datation relative des structures ou des évènements géologiques les uns par rapport aux autres.

Parmi ces observations, il est également intéressant de repérer les fossiles présents dans les couches de roches sédimentaires. Ils peuvent dans certains cas être de véritables marqueurs temporels, notamment ceux ayant vécu pendant une brève période dans des zones très étendues géographiquement : on considérera alors que des couches qui présentent les mêmes fossiles stratigraphiques ont le même âge.

Par ailleurs, la comparaison des faunes fossiles permet, lorsqu'elles sont différentes, d'établir une chronologie relative précise : les géologues utilisent les apparitions et disparitions des grands groupes d'organismes pour effectuer le découpage du temps en ères, elles-mêmes subdivisées en périodes. Par exemple, la disparition des Trilobites marque la fin de l'ère primaire, celles des Ammonites et des Dinosaures la fin de l'ère secondaire...

Pourtant, si l'extinction massive des dinosaures il y a 65 millions d'années marquant la limite Crétacé/Tertiaire ne fait plus aucun doute, il n'en a pas toujours été ainsi. Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la notion d'espèces disparues au cours des temps a le plus grand mal à s'imposer face aux divers postulats religieux et philosophiques. Elle impliquait en effet la négation de l'idée d'une Création parfaite, puisque divine.

Le savant anglais Robert Hooker (1635-1705) fut le premier à affirmer haut et clair que certaines espèces avaient bel et bien disparu. Il attribuait ces extinctions aux nombreux changements survenus à la surface du globe au cours des temps.

Puis les travaux de Georges Cuvier (1769-1832), dans un environnement intellectuel devenu plus favorable, imposèrent définitivement le concept d'extinction.

La parution de L'origine des espèces de Charles Darwin en 1859 fit d'ailleurs s'affirmer une nouvelle approche de l'étude des fossiles : l'intérêt se porte sur la transformation des espèces bien plus que sur leur disparition. C'est l'avènement de la théorie évolutionniste.

Si la datation relative permet de classer des évènements du passé les uns par rapport aux autres, elle ne permet pas de leur attribuer un âge.


Il faudra attendre 1896 et la découverte de la radioactivité par Becquerel pour révolutionner les méthodes de la géologie historique.

C'est Rutherford qui, en 1905 proposa d'utiliser la constance de la vitesse de désintégration des radioéléments comme base de mesure du temps.

En effet, les connaissances relatives aux phénomènes radioactifs qui s'accumulent à partir de 1910 vont permettre de constituer un arsenal de méthodes susceptible d'améliorer dans des proportions considérables les fourchettes statistiques définissant les durées des époques géologiques.

Ces méthodes reposent toutes sur la mesure et le suivi de l'évolution de la quantité d'isotopes radioactifs dans les roches. En se désintégrant, un élément radioactif "père" se transforme spontanément en un élément "fils" non radioactif.

Lorsqu'ils comprirent que la désintégration de tout élément radioactif se faisait suivant une loi mathématique immuable de décroissance exponentielle en fonction du temps, les géologues furent en possession d'une véritable horloge géologique.

Connaissant la période d'une réaction de désintégration, il leur fut possible de calculer depuis quand elle se déroule à l'intérieur d'une roche, en mesurant les quantités respectives d'éléments pères subsistant dans la roche et d'éléments fils créés contenues aujourd'hui dans cette roche.

L'une des applications de cette méthode de datation réside en l'utilisation d'un isotope radioactif du carbone : le carbone 14. Très rare, cet élément se forme constamment en très faible quantité dans la haute atmosphère à partir de l'azote 14 "bombardé" par les rayons cosmiques. Les atomes de carbone 14 ainsi créés sont rapidement oxydés en dioxyde de carbone radioactif qui se mélange au CO2 non radioactif de l'air, issu d'autres sources comme le volcanisme, les combustions, la respiration des êtres vivants... Radioactif ou pas, le CO2 atmosphérique est incorporé dans les molécules organiques des végétaux photosynthétiques, molécules qui seront transférées aux consommateurs des chaînes alimentaires. Tout être vivant contient donc, dans ses tissus, une proportion de carbone 14 qui reste stable au cours de sa vie, car il est renouvelé en permanence. A la mort d'un organisme, le carbone n'est plus renouvelé et le carbone 14 se désintègre selon la loi mathématique précédemment évoquée. Les géologues n'auront plus qu'à mesurer le carbone 14 résiduel contenu dans l'échantillon pour estimer son âge.

Mais en raison de la brièveté de sa période radioactive (5580 ans), le carbone 14 ne peut pas être utilisé pour dater des évènements de plus de 40.000 ans. Les géologues emploient alors d'autres éléments radioactifs ayant une longue période, tels que le rubidium 87 (dont la période est de 5.1010 ans) ou le potassium 40 pour dater des évènements plus anciens de l'histoire de notre planète.

Cette méthode peut donc s'appliquer à tous les vestiges qui contiennent du carbone. Tracées à l'aide de charbon de bois, les peintures rupestres préhistoriques conviennent ainsi parfaitement à cette méthode de datation. Jusqu'alors, on les ordonnait chronologiquement en se basant sur le style des animaux représentés et les techniques de dessin employées, mais sans jamais leur attribuer d'âge précis.


Grâce à l'ensemble de ces méthodes, pour la première fois en 1953, Patterson estima à 4,55 milliards d'années l'âge de la Terre, valeur proche de celle admise de nos jours.

Ainsi, la datation des phénomènes géologiques et des évènements survenus dans la biosphère depuis 4,55 milliards d'années est une question scientifique actuellement bien cernée par l'Homme, espèce extrêmement récente eu égard à la durée de l'évolution de la planète.

En effet, si l'on adopte un mode de traduction métaphorique temporelle et qu'on ramène à une année (365 jours) les 4,55 milliards d'années de la planète, on s'aperçoit qu'un mois et demi après sa formation (le 1er janvier) les premières traces de vie apparaissent, les premières bactéries le 8 juillet, les premiers vertébrés le 8 novembre, qui ne sortiront des eaux qu'aux alentours du 25 novembre. Les dinosaures n'auront quant à eux connus qu'une dizaine de jours de gloire, entre le 6 et le 16 décembre... Les premiers mammifères auront attendu les frimas hivernaux pour apparaître le 8 décembre. Quant aux hommes, sous leur forme préhominienne, il faudra attendre le 30 décembre en fin de journée pour les voir arriver !...

Et si l'on ramène à une année, non plus les 4,55 milliards d'années de notre planète, mais l'âge de l'univers, alors les premières traces de vie n'apparaîtraient non plus le 8 juillet, mais le 19 décembre, et selon cette même échelle, la vie humaine n'apparaîtrait qu'à la dernière seconde !...