Le champ magnétique
terrestre reste aux yeux des géophysiciens actuels un mystère
et une énigme. Un mystère parce que son origine n'est
pas encore parfaitement comprise. Et une énigme car son comportement,
ou plus précisément ses variations, aussi bien à
l'échelle de la journée que de l'ère géologique,
est une question ouverte au sein de la communauté scientifique.
Pourtant les premiers effets du champ magnétique terrestre auraient
été observés dès le IIe siècle de
notre ère sur une aiguille aimantée, et ses premières
utilisations à des fins de repérage datent du XIe siècle
en Occident avec l'importation par les Arabes, probablement, de la boussole
de Chine. En effet, on trouve des écrits la mentionnant dès
le Xe siècle où elle n'est pas utilisée d'abord
comme instrument de repérage mais comme objet religieux. Cette
anecdote nous montre bien que ce que nous sommes en mesure de nommer
aujourd'hui le champ magnétique terrestre a longtemps su garder
un épais voile de mystère.
Le caractère mystérieux du champ magnétique est
sans doute lié à une notion dont la paternité revient
en grande partie à Isaac Newton (1642-1727) : celle de champ
de force. Car les effets d'une force, visibles, résultent d'une
cause, elle invisible, à l'instar de l'attraction terrestre.
Dans le cas qui nous intéresse du champ magnétique terrestre
il faut attendre les développements récents de la science
et les études de Carl Friedrich Gauss (1777-1855) pour jeter
les bases d'une science moderne : le géomagnétisme. Celui-ci
présente tellement de visages différents et son omniprésence
est telle que cette nouvelle discipline pourrait encore regorger de
nombreuses découvertes.
Le champ magnétique terrestre présente des ramifications
aussi diverses que l'orientation animale, la haute atmosphère,
la physique du noyau terrestre ou la datation des ères géologiques.
Pour comprendre cette complexité, exposons le premier modèle
imaginé par William Gilbert (1544-1603) en 1600 qui réalisa
des mesures du champ magnétique autour d'une sphère de
magnétite au moyen d'une boussole. Il parvint à la conclusion
que ses mesures s'approchaient de ce qu'il pouvait observer du champ
magnétique terrestre. Il formula alors le premier l'idée
selon laquelle la Terre se comporte en première approximation
comme un barreau aimanté placé en son centre. A la manière
de celui-ci elle développe des lignes de champ magnétique
annulaires partant d'un pôle et revenant à l'autre. Ce
sont ces lignes sur lesquelles s'alignent nos boussoles, mais aussi
toute particule de magnétite ou plus généralement
toute roche ferromagnétique (i.e. qui s'aimante).
Où cela
devient intéressant c'est lorsqu'on s'aperçoit que des
particules de magnétite sont présentes dans le domaine
du vivant. On en a relevées dans le crâne des pigeons,
mais aussi chez les abeilles qui présentent un magnétisme
naturel au niveau de l'abdomen. Ces particules de magnétite permettent
aux oiseaux migrateurs ou aux animaux marins de suivre les lignes de
champ magnétique terrestre et de se repérer sur Terre.
Quant aux abeilles, le champ magnétique terrestre influe sur
leur communication. En effet, lorsque une abeille butineuse a repéré
une fleur, elle rentre à la ruche pour effectuer la fameuse danse
des abeilles qui indique à ses congénères le lieu
et le type de fleur. Or cette danse, et donc les informations qu'elle
recèle, est fortement dépendante du champ magnétique
environnant. Des expériences ont montré qu'en faisant
pivoter le champ magnétique dans la ruche d'un certain angle,
la danse des abeilles s'inclinait du même angle.
Mais revenons à des phénomènes purement physiques
: ceux de la haute atmosphère et de la banlieue spatiale de la
Terre. La description des lignes de champ faite précédemment
n'est valable qu'à de faibles altitudes au regard des dimensions
de la Terre : de l'ordre du millier de kilomètres. Car notre
planète déploie ses lignes de champ loin dans l'espace,
assurant ainsi le bien être de ses habitants. Les lignes du champ
magnétique terrestre définissent une forme bien précise
qui s'appelle la magnétosphère (en bleu sur la figure),
et dont la surface extérieure se nomme magnétopause.
La magnétosphère
prend la forme d'une comète sous l'action du Soleil. Entre autres
choses, il émet constamment des particules chargées (électrons
et protons) à grande vitesse (300 à 800 km/s), appelées
vent solaire, qui, de part leur charge, interagissent avec le champ
magnétique terrestre en le déformant tout en étant
elle-mêmes déviées.
La magnétosphère est responsable de certains phénomènes
qui méritent d'être soulignés. En premier lieu c'est
elle qui nous protège contre ce fameux vent solaire et ses particules
fortement énergétiques. Sous l'action du champ magnétique
la majorité des particules dévient leur trajectoire de
part et d'autre de la planète. La première conséquence
est un ralentissement brutal de ces particules au niveau de la magnétopause
et l'apparition d'une onde de choc. Le phénomène peut
être apparenté à celui de la formation d'une onde
de choc en amont d'un avion supersonique. L'avion se déplaçant
nettement plus vite que les atomes d'air environnant génère
une onde de choc autour de lui et dans son sillage. Ici, c'est le vent
solaire qui arrive à grande vitesse sur la Terre. Les particules
se compriment en arrivant sur Terre tout comme les particules d'air
se compriment sur le nez de l'avion. Une onde de choc (bow shock) se
crée au devant de la Terre et se propage dans l'univers.
En second lieu,
l'interaction entre le vent solaire et notre magnétosphère
est responsable d'un phénomène très gênant
pour les satellites artificiels que l'on envoie en orbite : les ceintures
de Van Allen. En effet, une fois passée l'onde de choc, les particules
du vent solaire passent dans le sillage de la Terre. En deux régions
de la magnétosphère les particules chargées sont
non seulement captées mais aussi prises au piège des lignes
de champ (trapping region). Elles effectuent alors un mouvement oscillatoire
dans la ceinture sans jamais en sortir. Il découle de ce phénomène
une accumulation de particules de hautes énergies qui pose un
problème à tous les fabricants de satellites devant transiter
dans ces régions (en particulier les satellites géostationnaires
qui orbitent à 36.000 km). Ce sont des instruments de pointe
qui mettent en œuvre une électronique sensible et des composants
souvent fragiles. Si bien qu'un bombardement de particules de hautes
énergies peut s'avérer fatal pour l'utilisation finale
du satellite. Ce paramètre doit donc être pris en compte
lors de leur conception. Ces ceintures de Van Allen, qui ne sont rien
d'autre que des régions radioactives de notre espace proche,
posent également un problème à tout voyage de l'homme
au delà de ces régions.
Enfin, le vent solaire est responsable du phénomène d'aurore
boréale qui a longtemps excité l'imagination de l'homme.
La région des pôles est la moins bien protégée
par le champ magnétique : on l'appelle le cornet polaire. A ces
latitudes, si la force du vent solaire est suffisante, les particules
peuvent alors atteindre les hautes couches de notre atmosphère
et entrer en collision avec les atomes présents. Les atomes qui
sont ainsi ionisés, libèrent l'excédent d'énergie
qu'ils ont reçu de la collision, sous forme de lumière.
C'est cette lumière que l'on appelle aurore boréale dont
on doit le nom à Galilée (1564-1642).
Quittons les immensités spatiales pour revenir à notre
planète, car si nous avons pu entrevoir la diversité des
liens qu'entretient notre champ magnétique avec son environnement,
nous n'avons toujours pas discuté sa structure et ses origines.
De nos jours, le champ magnétique terrestre est bien observé
et les scientifiques disposent de relevés précis. Ils
ont ainsi pu s'apercevoir que le champ magnétique terrestre,
appelons-le F, peut être considéré comme la somme
d'un terme moyen et d'un terme variable qui, une fois moyenné,
est nul. Le premier terme est donc appelé champ moyen, alors
que le second porte le nom de champ de variation. Cette distinction
en apparence toute simple relève en fait de la structure même
du champ, et de ses sources. En effet, le champ moyen est issu de phénomènes
situés à l'intérieur du globe, alors que le champ
de variation traduit les influences extérieures ponctuelles comme
les tempêtes solaires. La contribution du champ moyen au champ
magnétique total est nettement supérieure à celle
du champ de variation qui, lui, n'a trait qu'à de très
faibles variations et sur des temps très courts : journée,
heure ou même seconde. Nous limiterons la discussion au champ
moyen.
Dans le cadre du champ moyen (Fm) les équations de la physique
de l'électromagnétisme établies par James Clerk
Maxwell (1831-1879) peuvent être appliquées. On dit alors
que l'on recherche les solutions du potentiel dont dérive
F. Ces solutions sont de type sphérique harmonique et ont été
trouvées par Gauss. Il s'agit d'un développement en série
: une somme de termes consécutifs dont l'importance diminue progressivement.
Le premier terme de cette série est égal au champ magnétique
généré par un dipôle magnétique dont
l'axe est celui de larotation de la Terre. On appelle dipôle magnétique
une spire ou un anneau de courant électrique. On peut l'assimiler
à un aimant droit tout simple pour ce qui est de la forme des
lignes de champ. Ce premier résultat corrobore donc l'intuition
de Gilbert décrite au début de cet article. Lorsqu'on
prend ensemble la somme des trois premiers termes on obtient toujours
le champ magnétique généré par un dipôle
mais avec un axe différent de celui de la Terre. Cela signifie
que le pôle nord géographique et le pôle nord magnétique
ne coïncident pas. Les marins connaissent bien ce problème
lorsqu'ils veulent se diriger sur les océans : ils l'appellent
déclinaison magnétique qui est l'angle entre le pôle
nord géographique et le pôle nord magnétique. Ils
doivent ajouter ou soustraire cet angle pour calculer leur cap.
Mais la description du champ moyen ne se limite pas au dipôle
: il possède une composante non dipolaire dont la contribution
n'est pas négligeable. En soustrayant le champ dipolaire calculé
précédemment au champ moyen réel, on obtient un
champ non dipolaire. On s'aperçoit que la distribution de ce
champ n'est pas erratique sur le globe. On peut dégager des zones
ou foyers où la composante verticale du champ non dipolaire est
positive et d'autres où elle est négative.
Le champ moyen a donc une structure complexe mais qui ne s'arrête
pas là. Ses variations au cours du temps et en premier lieu celle
de la déclinaison magnétique ont des conséquences
importantes. En fait, le pôle nord magnétique se déplace
chaque année d'une dizaine de kilomètres. Plus généralement,
ce sont l'ensemble des caractéristiques du vecteur F qui varient
au cours des siècles. Pour cette raison cette variation du champ
moyen est appelée variation séculaire. Elle est suivie
de très près par les scientifiques, ne serait-ce que pour
les besoins des instruments de navigation. En effet, on trouve sur les
cartes marines non seulement la déclinaison magnétique
du lieu qu'elle décrit mais également la variation annuelle.
La variation séculaire n'est pas la seule variation de F qui
intrigue. Les analyses magnétiques de roches anciennes ou des
dorsales océaniques font ressortir des âges distincts d'orientation
du champ magnétique. C'est-à-dire des inversions pures
et simples du champ magnétique terrestre. Cela signifie qu'il
y a 1,5 million d'années une boussole indiquait en guise de pôle
nord, selon nos conventions, notre pôle sud actuel. Le premier
cas observé d'inversion de champ dans une roche remonte au début
du XXe siècle en Auvergne dans le Puy de Dôme. Cette découverte
d'abord considérée comme une anomalie a eu par la suite
vers 1950, un retentissement énorme et continue d'agiter la communauté
scientifique. Car la question qui vient immédiatement à
l'esprit est de comprendre par quel mécanisme ce renversement
parvient à se faire, question encore ouverte de nos jours et
d'actualité puisque certains scientifiques estiment possible
que la Terre ait amorcé un renversement de son champ magnétique
(article paru dans le New York Times du 25-26 juillet 2004). Il existe
à l'heure actuelle deux manières d'expliquer le renversement
du champ magnétique. L'une propose une décroissance du
champ magnétique, son annulation puis son inversion. Mais l'annulation
du champ magnétique laisse sceptiques des scientifiques qui pencheraient
plutôt pour un mécanisme de renversement des lignes de
champ à champ magnétique constant. Le processus qui durerait
entre 1000 et 10.000 ans cherche à être modélisé
par les géophysiciens au moyen des outils de simulation numérique
moderne. Sur la figure ci-dessous, les lignes bleues représentent
les lignes de champ du pôle sud et les oranges celles du pôle
nord. La zone où elles s'amalgament correspond au noyau de la
Terre.
Le paléomagnétisme,
comme on l'appelle, a permis de valider la théorie de dérive
des continents car il constitue une échelle des ères géologiques
fiables. Au niveau des dorsales océaniques, les successions de
roches présentant des aimantations opposées ont permis
de comprendre que la croûte naissante sort de la dorsale et que
plus on s'en éloigne plus on trouve des roches anciennes. En
effet au niveau d'une dorsale océanique, la lave, chaude, enregistre
l'orientation du champ magnétique en se refroidissant au contact
de l'eau.
Au fur et à
mesure que la dorsale éjecte de la lave, la croûte refroidie
s'éloigne de la dorsale, poussée par la lave. Mais l'importance
du paléomagnétisme en géologie va bien au delà
de cet exemple et sort du cadre de cet article.
Pour apporter la dernière pièce au puzzle du magnétisme
terrestre il faut parler de l'origine et des sources de notre champ
magnétique. Une théorie sur l'origine du champ moyen doit
satisfaire deux conditions sine qua non :
- expliquer les variations séculaires,
- expliquer les inversions du champ.
A l'heure actuelle il n'y a pas de théories satisfaisantes, seulement
des amorces d'explications. L'analogie la plus couramment utilisée
est celle de la dynamo, bien connu du cycliste, et inventée par
le Belge Gramme (1826-1901), qui convertit une énergie mécanique
en énergie électrique par un phénomène d'induction.
Un matériau conducteur (comme le cuivre) mis en mouvement dans
un champ magnétique devient le siège d'un courant électrique
dit induit. Inversement il est possible de créer un champ magnétique
induit par variation de courant électrique dans un conducteur.
Par analogie les géophysiciens ont imaginé des modèles
de double dynamo qui a l'avantage de présenter des instabilités
et des oscillations qui se rapprochent du phénomène d'inversion
du champ. Cependant ces modèles de dynamo ne sont pas satisfaisants
dans la mesure où ils sont dits hétérogènes.
C'est-à-dire que l'isolant et le conducteur ne font pas partie
du même milieu. Alors que le noyau de la Terre, lui, serait une
dynamo homogène, composé d'une boule de fer solide entourée
de fer et de nickel fluide. Ce problème qui relève de
la magnétohydrodynamique n'a pas encore été résolu.
Seules quelques expériences comme celle mettant en présence
deux sphères conductrices tournant dans un milieu conducteur
ont pu montrer qu'à partir d'un champ magnétique infime
des courants électriques peuvent être produits et un champ
magnétique intense peut naître.
Le large spectre du géomagnétisme en fait une discipline
connexe à beaucoup d'autres, de l'archéologie à
la géologie en passant par l'astrophysique ou la biologie. Et
le nombre de questions encore ouvertes promettent certainement des découvertes
et des avancées dans des domaines inattendus.
Bibliographie :
- Geomagnetism lecture
by R.J Banks, University of Edinburgh,
- DVD Encylopédie universalis version 8,
- http://www.magnet.oma.be/home/stern/reversal_fr.html,
- http://system.solaire.free.fr/terre.htm,
- http://perso.wanadoo.fr/noirmain/doss016.htm,
- http://www.windows.ucar.edu/tour/link=/earth/Magnetosphere/overview.html.
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