Le temps-Archives

Les hauts et les bas du champ magnétique terrestre
par Joseph Martin-Ginolhac

 


Le champ magnétique terrestre reste aux yeux des géophysiciens actuels un mystère et une énigme. Un mystère parce que son origine n'est pas encore parfaitement comprise. Et une énigme car son comportement, ou plus précisément ses variations, aussi bien à l'échelle de la journée que de l'ère géologique, est une question ouverte au sein de la communauté scientifique. Pourtant les premiers effets du champ magnétique terrestre auraient été observés dès le IIe siècle de notre ère sur une aiguille aimantée, et ses premières utilisations à des fins de repérage datent du XIe siècle en Occident avec l'importation par les Arabes, probablement, de la boussole de Chine. En effet, on trouve des écrits la mentionnant dès le Xe siècle où elle n'est pas utilisée d'abord comme instrument de repérage mais comme objet religieux. Cette anecdote nous montre bien que ce que nous sommes en mesure de nommer aujourd'hui le champ magnétique terrestre a longtemps su garder un épais voile de mystère.
Le caractère mystérieux du champ magnétique est sans doute lié à une notion dont la paternité revient en grande partie à Isaac Newton (1642-1727) : celle de champ de force. Car les effets d'une force, visibles, résultent d'une cause, elle invisible, à l'instar de l'attraction terrestre. Dans le cas qui nous intéresse du champ magnétique terrestre il faut attendre les développements récents de la science et les études de Carl Friedrich Gauss (1777-1855) pour jeter les bases d'une science moderne : le géomagnétisme. Celui-ci présente tellement de visages différents et son omniprésence est telle que cette nouvelle discipline pourrait encore regorger de nombreuses découvertes.
Le champ magnétique terrestre présente des ramifications aussi diverses que l'orientation animale, la haute atmosphère, la physique du noyau terrestre ou la datation des ères géologiques. Pour comprendre cette complexité, exposons le premier modèle imaginé par William Gilbert (1544-1603) en 1600 qui réalisa des mesures du champ magnétique autour d'une sphère de magnétite au moyen d'une boussole. Il parvint à la conclusion que ses mesures s'approchaient de ce qu'il pouvait observer du champ magnétique terrestre. Il formula alors le premier l'idée selon laquelle la Terre se comporte en première approximation comme un barreau aimanté placé en son centre. A la manière de celui-ci elle développe des lignes de champ magnétique annulaires partant d'un pôle et revenant à l'autre. Ce sont ces lignes sur lesquelles s'alignent nos boussoles, mais aussi toute particule de magnétite ou plus généralement toute roche ferromagnétique (i.e. qui s'aimante).

Où cela devient intéressant c'est lorsqu'on s'aperçoit que des particules de magnétite sont présentes dans le domaine du vivant. On en a relevées dans le crâne des pigeons, mais aussi chez les abeilles qui présentent un magnétisme naturel au niveau de l'abdomen. Ces particules de magnétite permettent aux oiseaux migrateurs ou aux animaux marins de suivre les lignes de champ magnétique terrestre et de se repérer sur Terre. Quant aux abeilles, le champ magnétique terrestre influe sur leur communication. En effet, lorsque une abeille butineuse a repéré une fleur, elle rentre à la ruche pour effectuer la fameuse danse des abeilles qui indique à ses congénères le lieu et le type de fleur. Or cette danse, et donc les informations qu'elle recèle, est fortement dépendante du champ magnétique environnant. Des expériences ont montré qu'en faisant pivoter le champ magnétique dans la ruche d'un certain angle, la danse des abeilles s'inclinait du même angle.
Mais revenons à des phénomènes purement physiques : ceux de la haute atmosphère et de la banlieue spatiale de la Terre. La description des lignes de champ faite précédemment n'est valable qu'à de faibles altitudes au regard des dimensions de la Terre : de l'ordre du millier de kilomètres. Car notre planète déploie ses lignes de champ loin dans l'espace, assurant ainsi le bien être de ses habitants. Les lignes du champ magnétique terrestre définissent une forme bien précise qui s'appelle la magnétosphère (en bleu sur la figure), et dont la surface extérieure se nomme magnétopause.

La magnétosphère prend la forme d'une comète sous l'action du Soleil. Entre autres choses, il émet constamment des particules chargées (électrons et protons) à grande vitesse (300 à 800 km/s), appelées vent solaire, qui, de part leur charge, interagissent avec le champ magnétique terrestre en le déformant tout en étant elle-mêmes déviées.
La magnétosphère est responsable de certains phénomènes qui méritent d'être soulignés. En premier lieu c'est elle qui nous protège contre ce fameux vent solaire et ses particules fortement énergétiques. Sous l'action du champ magnétique la majorité des particules dévient leur trajectoire de part et d'autre de la planète. La première conséquence est un ralentissement brutal de ces particules au niveau de la magnétopause et l'apparition d'une onde de choc. Le phénomène peut être apparenté à celui de la formation d'une onde de choc en amont d'un avion supersonique. L'avion se déplaçant nettement plus vite que les atomes d'air environnant génère une onde de choc autour de lui et dans son sillage. Ici, c'est le vent solaire qui arrive à grande vitesse sur la Terre. Les particules se compriment en arrivant sur Terre tout comme les particules d'air se compriment sur le nez de l'avion. Une onde de choc (bow shock) se crée au devant de la Terre et se propage dans l'univers.

En second lieu, l'interaction entre le vent solaire et notre magnétosphère est responsable d'un phénomène très gênant pour les satellites artificiels que l'on envoie en orbite : les ceintures de Van Allen. En effet, une fois passée l'onde de choc, les particules du vent solaire passent dans le sillage de la Terre. En deux régions de la magnétosphère les particules chargées sont non seulement captées mais aussi prises au piège des lignes de champ (trapping region). Elles effectuent alors un mouvement oscillatoire dans la ceinture sans jamais en sortir. Il découle de ce phénomène une accumulation de particules de hautes énergies qui pose un problème à tous les fabricants de satellites devant transiter dans ces régions (en particulier les satellites géostationnaires qui orbitent à 36.000 km). Ce sont des instruments de pointe qui mettent en œuvre une électronique sensible et des composants souvent fragiles. Si bien qu'un bombardement de particules de hautes énergies peut s'avérer fatal pour l'utilisation finale du satellite. Ce paramètre doit donc être pris en compte lors de leur conception. Ces ceintures de Van Allen, qui ne sont rien d'autre que des régions radioactives de notre espace proche, posent également un problème à tout voyage de l'homme au delà de ces régions.
Enfin, le vent solaire est responsable du phénomène d'aurore boréale qui a longtemps excité l'imagination de l'homme. La région des pôles est la moins bien protégée par le champ magnétique : on l'appelle le cornet polaire. A ces latitudes, si la force du vent solaire est suffisante, les particules peuvent alors atteindre les hautes couches de notre atmosphère et entrer en collision avec les atomes présents. Les atomes qui sont ainsi ionisés, libèrent l'excédent d'énergie qu'ils ont reçu de la collision, sous forme de lumière. C'est cette lumière que l'on appelle aurore boréale dont on doit le nom à Galilée (1564-1642).
Quittons les immensités spatiales pour revenir à notre planète, car si nous avons pu entrevoir la diversité des liens qu'entretient notre champ magnétique avec son environnement, nous n'avons toujours pas discuté sa structure et ses origines. De nos jours, le champ magnétique terrestre est bien observé et les scientifiques disposent de relevés précis. Ils ont ainsi pu s'apercevoir que le champ magnétique terrestre, appelons-le F, peut être considéré comme la somme d'un terme moyen et d'un terme variable qui, une fois moyenné, est nul. Le premier terme est donc appelé champ moyen, alors que le second porte le nom de champ de variation. Cette distinction en apparence toute simple relève en fait de la structure même du champ, et de ses sources. En effet, le champ moyen est issu de phénomènes situés à l'intérieur du globe, alors que le champ de variation traduit les influences extérieures ponctuelles comme les tempêtes solaires. La contribution du champ moyen au champ magnétique total est nettement supérieure à celle du champ de variation qui, lui, n'a trait qu'à de très faibles variations et sur des temps très courts : journée, heure ou même seconde. Nous limiterons la discussion au champ moyen.
Dans le cadre du champ moyen (Fm) les équations de la physique de l'électromagnétisme établies par James Clerk Maxwell (1831-1879) peuvent être appliquées. On dit alors que l'on recherche les solutions du potentiel dont dérive F. Ces solutions sont de type sphérique harmonique et ont été trouvées par Gauss. Il s'agit d'un développement en série : une somme de termes consécutifs dont l'importance diminue progressivement. Le premier terme de cette série est égal au champ magnétique généré par un dipôle magnétique dont l'axe est celui de larotation de la Terre. On appelle dipôle magnétique une spire ou un anneau de courant électrique. On peut l'assimiler à un aimant droit tout simple pour ce qui est de la forme des lignes de champ. Ce premier résultat corrobore donc l'intuition de Gilbert décrite au début de cet article. Lorsqu'on prend ensemble la somme des trois premiers termes on obtient toujours le champ magnétique généré par un dipôle mais avec un axe différent de celui de la Terre. Cela signifie que le pôle nord géographique et le pôle nord magnétique ne coïncident pas. Les marins connaissent bien ce problème lorsqu'ils veulent se diriger sur les océans : ils l'appellent déclinaison magnétique qui est l'angle entre le pôle nord géographique et le pôle nord magnétique. Ils doivent ajouter ou soustraire cet angle pour calculer leur cap.
Mais la description du champ moyen ne se limite pas au dipôle : il possède une composante non dipolaire dont la contribution n'est pas négligeable. En soustrayant le champ dipolaire calculé précédemment au champ moyen réel, on obtient un champ non dipolaire. On s'aperçoit que la distribution de ce champ n'est pas erratique sur le globe. On peut dégager des zones ou foyers où la composante verticale du champ non dipolaire est positive et d'autres où elle est négative.
Le champ moyen a donc une structure complexe mais qui ne s'arrête pas là. Ses variations au cours du temps et en premier lieu celle de la déclinaison magnétique ont des conséquences importantes. En fait, le pôle nord magnétique se déplace chaque année d'une dizaine de kilomètres. Plus généralement, ce sont l'ensemble des caractéristiques du vecteur F qui varient au cours des siècles. Pour cette raison cette variation du champ moyen est appelée variation séculaire. Elle est suivie de très près par les scientifiques, ne serait-ce que pour les besoins des instruments de navigation. En effet, on trouve sur les cartes marines non seulement la déclinaison magnétique du lieu qu'elle décrit mais également la variation annuelle.
La variation séculaire n'est pas la seule variation de F qui intrigue. Les analyses magnétiques de roches anciennes ou des dorsales océaniques font ressortir des âges distincts d'orientation du champ magnétique. C'est-à-dire des inversions pures et simples du champ magnétique terrestre. Cela signifie qu'il y a 1,5 million d'années une boussole indiquait en guise de pôle nord, selon nos conventions, notre pôle sud actuel. Le premier cas observé d'inversion de champ dans une roche remonte au début du XXe siècle en Auvergne dans le Puy de Dôme. Cette découverte d'abord considérée comme une anomalie a eu par la suite vers 1950, un retentissement énorme et continue d'agiter la communauté scientifique. Car la question qui vient immédiatement à l'esprit est de comprendre par quel mécanisme ce renversement parvient à se faire, question encore ouverte de nos jours et d'actualité puisque certains scientifiques estiment possible que la Terre ait amorcé un renversement de son champ magnétique (article paru dans le New York Times du 25-26 juillet 2004). Il existe à l'heure actuelle deux manières d'expliquer le renversement du champ magnétique. L'une propose une décroissance du champ magnétique, son annulation puis son inversion. Mais l'annulation du champ magnétique laisse sceptiques des scientifiques qui pencheraient plutôt pour un mécanisme de renversement des lignes de champ à champ magnétique constant. Le processus qui durerait entre 1000 et 10.000 ans cherche à être modélisé par les géophysiciens au moyen des outils de simulation numérique moderne. Sur la figure ci-dessous, les lignes bleues représentent les lignes de champ du pôle sud et les oranges celles du pôle nord. La zone où elles s'amalgament correspond au noyau de la Terre.

Le paléomagnétisme, comme on l'appelle, a permis de valider la théorie de dérive des continents car il constitue une échelle des ères géologiques fiables. Au niveau des dorsales océaniques, les successions de roches présentant des aimantations opposées ont permis de comprendre que la croûte naissante sort de la dorsale et que plus on s'en éloigne plus on trouve des roches anciennes. En effet au niveau d'une dorsale océanique, la lave, chaude, enregistre l'orientation du champ magnétique en se refroidissant au contact de l'eau.

Au fur et à mesure que la dorsale éjecte de la lave, la croûte refroidie s'éloigne de la dorsale, poussée par la lave. Mais l'importance du paléomagnétisme en géologie va bien au delà de cet exemple et sort du cadre de cet article.
Pour apporter la dernière pièce au puzzle du magnétisme terrestre il faut parler de l'origine et des sources de notre champ magnétique. Une théorie sur l'origine du champ moyen doit satisfaire deux conditions sine qua non :
- expliquer les variations séculaires,
- expliquer les inversions du champ.
A l'heure actuelle il n'y a pas de théories satisfaisantes, seulement des amorces d'explications. L'analogie la plus couramment utilisée est celle de la dynamo, bien connu du cycliste, et inventée par le Belge Gramme (1826-1901), qui convertit une énergie mécanique en énergie électrique par un phénomène d'induction. Un matériau conducteur (comme le cuivre) mis en mouvement dans un champ magnétique devient le siège d'un courant électrique dit induit. Inversement il est possible de créer un champ magnétique induit par variation de courant électrique dans un conducteur. Par analogie les géophysiciens ont imaginé des modèles de double dynamo qui a l'avantage de présenter des instabilités et des oscillations qui se rapprochent du phénomène d'inversion du champ. Cependant ces modèles de dynamo ne sont pas satisfaisants dans la mesure où ils sont dits hétérogènes. C'est-à-dire que l'isolant et le conducteur ne font pas partie du même milieu. Alors que le noyau de la Terre, lui, serait une dynamo homogène, composé d'une boule de fer solide entourée de fer et de nickel fluide. Ce problème qui relève de la magnétohydrodynamique n'a pas encore été résolu. Seules quelques expériences comme celle mettant en présence deux sphères conductrices tournant dans un milieu conducteur ont pu montrer qu'à partir d'un champ magnétique infime des courants électriques peuvent être produits et un champ magnétique intense peut naître.
Le large spectre du géomagnétisme en fait une discipline connexe à beaucoup d'autres, de l'archéologie à la géologie en passant par l'astrophysique ou la biologie. Et le nombre de questions encore ouvertes promettent certainement des découvertes et des avancées dans des domaines inattendus.

Bibliographie :

- Geomagnetism lecture by R.J Banks, University of Edinburgh,
- DVD Encylopédie universalis version 8,
- http://www.magnet.oma.be/home/stern/reversal_fr.html,
- http://system.solaire.free.fr/terre.htm,
- http://perso.wanadoo.fr/noirmain/doss016.htm,
- http://www.windows.ucar.edu/tour/link=/earth/Magnetosphere/overview.html.