Le temps-Archives

Les instruments de mesure du temps
par Laurent Malonda

 


Plusieurs millénaires avant notre ère, l'homme comprit l'alternance du jour et de la nuit, le cycle du soleil et de la lune et le rythme des saisons. Très tôt, il voulut s'affranchir de la toute puissance divine en essayant de dominer le temps, en le découpant et en le domestiquant.
Pendant longtemps, la position du soleil servit d'unique référence pour marquer le temps qui passe. L'ombre portée par les arbres, les rochers et les montagnes déterminait le moment de la journée et permettait le repérage des saisons dans le cycle annuel du soleil.
Vers 3000 ans avant Jésus-Christ, les premières constructions architecturales apparaissaient dans de nombreuses civilisations.
À Malte, un ensemble circulaire de pierres levées indiquait la position du soleil dans le ciel tout au long de l'année. Des portes monumentales matérialisaient l'alignement de l'astre lors des équinoxes (1) et des solstices (2). En Angleterre, le site de Stonehenge graduait très précisément le cycle solaire. Enfin, le Cromlech (3) de Crucono, dans la baie de Quiberon, marquait les solstices.
Les prêtres étaient également des astronomes. Ils observaient les cieux, interprétaient les messages des dieux. Ils élaborèrent les premières cartes du ciel et les calendriers. La mesure du temps demeurait étroitement liée aux rythmes des astres et des saisons, ponctuée de cérémonies religieuses.
De nombreux instruments de mesure apparurent en même temps et cohabitèrent longtemps. Leur utilisation croisée permit une plus grande précision dans le calcul de la division des durées et contribua à une meilleure maîtrise du temps.
C'est en Egypte ancienne qu'apparaissent les premiers instruments de mesure du temps. Devant les pylônes des temples, les obélisques indiquaient les différents moments de la journée, mais ne constituaient pas encore de véritables cadrans solaires. Vers 2000 avant J.-C., les horloges à ombre, en forme de T, indiquaient l'heure en projetant l'ombre de la barre transversale sur une échelle graduée.
Les sources historiques antiques attribuent au philosophe et mathématicien grec Anaximandre de Milet la découverte vers 600 avant J.-C. du gnomon (du grec gnômôn : indicateur). Nous savons aujourd'hui qu'il fut inventé en Egypte près de 2000 plus tôt. Cet outil est un simple bâton, appelé style, planté verticalement dans le sol. Il permettait d'observer le mouvement de l'ombre du soleil et de la lune, en n'importe quel endroit. La mesure du style et de son ombre projetée permit dès le XIe siècle avant J.-C. aux astronomes chinois de déterminer le midi solaire (au zénith, le point le plus haut dans le ciel) et de fixer les dates des solstices.
Les premiers cadrans solaires n'avaient pas encore de graduations des heures. Selon les époques, les "heures" n'avaient pas la même durée. Au temps de la République romaine, la journée était divisée en douze heures diurnes (après le lever du soleil) et douze heures nocturnes (après le coucher du soleil). La durée des heures changeait donc chaque jour et, en dehors des équinoxes, les heures diurnes et les heures nocturnes n'étaient pas égales.
Au Moyen Age, les cadrans ne possédaient que quatre traits. Ils indiquaient le début et la fin de la journée de travail, ainsi que les pauses. Au XVIe siècle, l'heure fut définie comme la 24e partie du temps séparant deux passages du soleil au zénith. L'heure avait enfin la même durée le jour et la nuit, quelle que soit la saison.
Les cadrans solaires ornaient les monuments civils et religieux et rythmaient les différents moments de la vie de la cité, concurrençant les cloches qui marquaient l'heure des prières. Le nocturlabe remplaçait le cadran solaire pour mesurer le temps la nuit. Les étoiles décrivent un tour complet autour de l'étoile Polaire chaque jour. Toutefois, seule la partie nocturne de son déplacement est visible. Lorsqu'une étoile est choisie, le segment reliant celle-ci à l'étoile Polaire devient une "aiguille" décrivant une portion de ce cercle autour de son centre, ce dernier coïncidant avec l'étoile Polaire. L'heure mesurée est alors l'heure sidérale et l'écart avec l'heure solaire est d'une journée. Une grille de correction traduisait les relevés en heure solaire.
Les cadrans solaires permirent l'élaboration d'autres instruments de mesure du temps tout au long de l'Histoire et sont encore utilisés aujourd'hui.
Au VIe siècle avant J.-C., les Grecs perfectionnèrent la clepsydre ou horloge à eau (4) inventée en Egypte vers 3000 avant notre ère. Utilisant un cadran solaire, ils graduèrent des vases de forme évasée, plus large en haut. L'eau s'écoulait régulièrement par un trou percé dans sa base dans un autre récipient. À l'intérieur, des marques indiquaient les intervalles de temps. Ces clepsydres tenaient une grande place dans la vie des cités grecques, en particulier à Athènes. Elles servaient à limiter la durée des plaidoiries lors des procès et les discours des orateurs. Enfin, elles permettaient de lire l'heure la nuit.
Toutefois, ce système ne donnait que des périodes de temps, et non les heures et il était tributaire de la température (gel de l'eau), des impuretés et du calcaire qui bouchaient l'orifice. Les clepsydres se sont perfectionnées jusqu'au XVIIIe siècle, et servaient dans les monastères à déclencher la sonnerie des cloches des offices.
Une clepsydre, mettant en scène des automates fut offerte à Charlemagne par le calife de Bagdad en 807 et une gigantesque horloge à eau de plus de 10 mètres de haut fut construite par Su-Sung pour l'empereur de Chine en 1090.
Vers l'An Mil, le sable remplaça l'eau dans les régions les plus arides. Le sable, trop grossier, fut bientôt remplacé par des coquilles d'œufs réduites en poudre. Les sabliers avaient une bonne précision dans la durée des tâches à accomplir, mais ils ne donnaient pas l'heure. Ils représentaient à l'époque médiévale le temps qui passe, le fil de la vie tranché par la faux de la mort. Ils remplaçaient sur les navires les horloges à huile, où la durée du temps reposait sur la combustion d'une chandelle ou d'une certaine quantité d'huile contenue dans un récipient. Elles étaient considérées comme peu commodes et très dangereuses. Les lourdes horloges à poids, quant à elles, étaient très encombrantes et peu appropriées au tangage.
Toutefois, les sabliers demeuraient imprécis dans le calcul des coordonnées géographiques et furent supplantés par les chronomètres.
L'invention du chronomètre embarqué par le charpentier-horloger anglais Harrison en 1734 et celle du chronomètre moderne par le Français Pierre Le Roy quelques années plus tard sont le fruit de longs travaux sur la précision et la miniaturisation des horloges mécaniques.
Les premières horloges mécaniques ont été mises au point vers le XIIIe siècle. Leur principe reposait sur la chute d'un poids actionnant des rouages. Elles n'avaient ni cadran, ni aiguilles. Leur unique fonction était de sonner des cloches pour marquer les heures. Elles étaient peu précises et variaient fréquemment de plus d'une heure par jour. Il fallait les remettre à l'heure à l'aide d'un sablier ou d'un cadran solaire. Elles sonnaient les quarts et les heures, mais elles n'affichaient pas encore l'heure sur un cadran. Ce dernier n'apparaît qu'au XVe siècle.
Le mathématicien hollandais Huygens et l'horloger Coster mirent au point en 1657 la première horloge à balancier ou horloge à pendule. Elle n'avait qu'une seule aiguille qui faisait le tour du cadran en 24 heures. Elle avait toutefois deux grands défauts : elle devait être remise à l'heure très souvent et elle demeurait très encombrante. L'aiguille des minutes n'apparaît qu'au XVIIe siècle.
Du VIe au XIIIe siècle, la liturgie romaine découpait la journée en six parties égales appelées "
horae" dont la durée était variable selon les saisons. Elles indiquaient les heures canoniales où l'on récitait les diverses parties du bréviaire et se distinguaient entre les grandes heures (laudes, matines ou vigiles, vêpres) et les petites heures (complies, none, prime, sexte, tierce). La prime (l'aube), la tierce (milieu de la matinée), la sexte (midi), la none (le milieu de l'après-midi), la douzième ou vêpres (heure de l'office du soir) et les complies (le coucher du soleil) rythmaient la journée. Les vigiles ou matines (chants et prières à 2 heures) et les laudes (5 heures) marquaient deux temps importants pour la communauté monastique durant la nuit. L'Eglise organisait la vie des croyants et marquait encore profondément le temps qui passe.
À la fin du XIVe siècle, la plupart des villes abandonnèrent les heures solaires inégales (5). Elles adoptèrent définitivement l'horloge mécanique et sa division mathématique de la journée en douze parties égales. Les premières montres furent mises au point au XVIe siècle. Bientôt, un ressort en spirale fut associé au pendule. Elles restèrent réservées très longtemps aux plus riches. Depuis le XVIIIe siècle, les montres se perfectionnent et les horlogers cherchent la plus grande précision.
L'invention de la première horloge électrique par Alexandre Bain en 1840 permit la réalisation de la première montre électrique en 1952 en miniaturisant les piles. Les vibrations d'un quartz, par l'intermédiaire d'un circuit électronique, sont à l'origine du déplacement des aiguilles des horloges (1933) et des montres à quartz (1968). La première montre à quartz à affichage numérique est enfin mise au point en 1970.
Toujours à la recherche de la meilleure précision, pour répondre aux besoins des télécommunications ou de la navigation, les physiciens mettent au point en 1958 l'horloge atomique fondée sur l'action des électrons d'un atome de césium.

L'homme recherche depuis des milliers d'années à maîtriser le temps par différents outils de mesure. Les premiers reposaient sur le mouvement du soleil. Ils permirent l'élaboration d'instruments de plus en plus perfectionnés où la mécanique et la physique recherchèrent la régularité et la plus grande précision. Mais les définitions données au temps aujourd'hui sont trop parfaites pour la Terre dont la durée de rotation n'est pas régulière. L'homme cherche un temps qui lui est propre en marge de l'heure solaire qui rythme la nature. Arrêterons-nous un jour de découper le temps pour enfin trouver l'Eternité que les Egyptiens anciens espéraient dans les Champs d'Ialou ?

"Ô temps suspend ton vol, et vous heures propices,
Suspendez votre cours !"

(Lamartine)




Notes
:

(1) Équinoxe : du latin oequinoctium ; de oequus "égal" et nox, noctis "nuit" : chacune des deux périodes de l'année où, le soleil passant par l'équateur, le jour a une durée égale à celle de la nuit, d'un cercle polaire à l'autre. Équinoxe de printemps (21 mars), équinoxe d'automne (23 septembre).
(2) Solstice : du latin solstitium ; de sol "soleil" et de stare "s'arrêter" : chacune des deux époques où le soleil atteint son plus grand éloignement angulaire du plan de l'équateur ; point de l'écliptique qui y correspond. Solstice d'hiver (21 ou 22 décembre), jour le plus court de l'année et solstice d'été (21 ou 22 juin), jour le plus long de l'année dans l'hémisphère Nord.
(3) Mot d'origine galloise et bretonne désignant une enceinte de monolithes verticaux appartenant à l'âge de pierre.
(4) Le mot horloge est apparu à la fin du XIIe siècle. Il vient du latin d'origine grecque horologium, du latin horae "heure" et du grec logos "discours".
(5) Les heures n'avaient pas la même durée en été et en hiver. Cette inégalité perdurera jusqu'au XVIIIe siècle dans certaines régions d'Europe.