Plusieurs
millénaires avant notre ère, l'homme comprit l'alternance
du jour et de la nuit, le cycle du soleil et de la lune et le rythme
des saisons. Très tôt, il voulut s'affranchir de la toute
puissance divine en essayant de dominer le temps, en le découpant
et en le domestiquant.
Pendant longtemps, la position du soleil servit d'unique référence
pour marquer le temps qui passe. L'ombre portée par les arbres,
les rochers et les montagnes déterminait le moment de la journée
et permettait le repérage des saisons dans le cycle annuel du
soleil.
Vers 3000 ans avant Jésus-Christ, les premières constructions
architecturales apparaissaient dans de nombreuses civilisations.
À Malte, un ensemble circulaire de pierres levées
indiquait la position du soleil dans le ciel tout au long de l'année.
Des portes monumentales matérialisaient l'alignement de l'astre
lors des équinoxes (1) et des solstices (2). En Angleterre, le
site de Stonehenge graduait très précisément le
cycle solaire. Enfin, le Cromlech (3) de Crucono, dans la baie de Quiberon,
marquait les solstices.
Les prêtres étaient également des astronomes. Ils
observaient les cieux, interprétaient les messages des dieux.
Ils élaborèrent les premières cartes du ciel et
les calendriers. La mesure du temps demeurait étroitement liée
aux rythmes des astres et des saisons, ponctuée de cérémonies
religieuses.
De nombreux instruments de mesure apparurent en même temps et
cohabitèrent longtemps. Leur utilisation croisée permit
une plus grande précision dans le calcul de la division des durées
et contribua à une meilleure maîtrise du temps.
C'est en Egypte ancienne qu'apparaissent les premiers instruments de
mesure du temps. Devant les pylônes des temples, les obélisques
indiquaient les différents moments de la journée, mais
ne constituaient pas encore de véritables cadrans solaires. Vers
2000 avant J.-C., les horloges à ombre, en forme
de T, indiquaient l'heure en projetant l'ombre de la barre transversale
sur une échelle graduée.
Les sources historiques antiques attribuent au philosophe et mathématicien
grec Anaximandre de Milet la découverte vers 600 avant J.-C.
du gnomon (du grec gnômôn : indicateur).
Nous savons aujourd'hui qu'il fut inventé en Egypte près
de 2000 plus tôt. Cet outil est un simple bâton, appelé
style, planté verticalement dans le sol. Il permettait d'observer
le mouvement de l'ombre du soleil et de la lune, en n'importe quel endroit.
La mesure du style et de son ombre projetée permit dès
le XIe siècle avant J.-C. aux astronomes chinois de déterminer
le midi solaire (au zénith, le point le plus haut dans le ciel)
et de fixer les dates des solstices.
Les premiers cadrans solaires n'avaient pas encore
de graduations des heures. Selon les époques, les "heures"
n'avaient pas la même durée. Au temps de la République
romaine, la journée était divisée en douze heures
diurnes (après le lever du soleil) et douze heures nocturnes
(après le coucher du soleil). La durée des heures changeait
donc chaque jour et, en dehors des équinoxes, les heures diurnes
et les heures nocturnes n'étaient pas égales.
Au Moyen Age, les cadrans ne possédaient que quatre traits. Ils
indiquaient le début et la fin de la journée de travail,
ainsi que les pauses. Au XVIe siècle, l'heure fut définie
comme la 24e partie du temps séparant deux passages du soleil
au zénith. L'heure avait enfin la même durée le
jour et la nuit, quelle que soit la saison.
Les cadrans solaires ornaient les monuments civils et religieux et rythmaient
les différents moments de la vie de la cité, concurrençant
les cloches qui marquaient l'heure des prières. Le nocturlabe
remplaçait le cadran solaire pour mesurer le temps la nuit. Les
étoiles décrivent un tour complet autour de l'étoile
Polaire chaque jour. Toutefois, seule la partie nocturne de son déplacement
est visible. Lorsqu'une étoile est choisie, le segment reliant
celle-ci à l'étoile Polaire devient une "aiguille"
décrivant une portion de ce cercle autour de son centre, ce dernier
coïncidant avec l'étoile Polaire. L'heure mesurée
est alors l'heure sidérale et l'écart avec l'heure solaire
est d'une journée. Une grille de correction traduisait les relevés
en heure solaire.
Les cadrans solaires permirent l'élaboration d'autres instruments
de mesure du temps tout au long de l'Histoire et sont encore utilisés
aujourd'hui.
Au VIe siècle avant J.-C., les Grecs perfectionnèrent
la clepsydre ou horloge à eau
(4) inventée en Egypte vers 3000 avant notre ère. Utilisant
un cadran solaire, ils graduèrent des vases de forme évasée,
plus large en haut. L'eau s'écoulait régulièrement
par un trou percé dans sa base dans un autre récipient.
À l'intérieur, des marques indiquaient les intervalles
de temps. Ces clepsydres tenaient une grande place dans la vie des cités
grecques, en particulier à Athènes. Elles servaient à
limiter la durée des plaidoiries lors des procès et les
discours des orateurs. Enfin, elles permettaient de lire l'heure la
nuit.
Toutefois, ce système ne donnait que des périodes de temps,
et non les heures et il était tributaire de la température
(gel de l'eau), des impuretés et du calcaire qui bouchaient l'orifice.
Les clepsydres se sont perfectionnées jusqu'au XVIIIe siècle,
et servaient dans les monastères à déclencher la
sonnerie des cloches des offices.
Une clepsydre, mettant en scène des automates fut offerte à
Charlemagne par le calife de Bagdad en 807 et une gigantesque horloge
à eau de plus de 10 mètres de haut fut construite par
Su-Sung pour l'empereur de Chine en 1090.
Vers l'An Mil, le sable remplaça l'eau dans les régions
les plus arides. Le sable, trop grossier, fut bientôt remplacé
par des coquilles d'œufs réduites en poudre. Les sabliers
avaient une bonne précision dans la durée des tâches
à accomplir, mais ils ne donnaient pas l'heure. Ils représentaient
à l'époque médiévale le temps qui passe,
le fil de la vie tranché par la faux de la mort. Ils remplaçaient
sur les navires les horloges à huile, où
la durée du temps reposait sur la combustion d'une chandelle
ou d'une certaine quantité d'huile contenue dans un récipient.
Elles étaient considérées comme peu commodes et
très dangereuses. Les lourdes horloges à poids,
quant à elles, étaient très encombrantes et peu
appropriées au tangage.
Toutefois, les sabliers demeuraient imprécis dans le calcul des
coordonnées géographiques et furent supplantés
par les chronomètres.
L'invention du chronomètre embarqué par le charpentier-horloger
anglais Harrison en 1734 et celle du chronomètre moderne par
le Français Pierre Le Roy quelques années plus tard sont
le fruit de longs travaux sur la précision et la miniaturisation
des horloges mécaniques.
Les premières horloges mécaniques ont été
mises au point vers le XIIIe siècle. Leur principe reposait sur
la chute d'un poids actionnant des rouages. Elles n'avaient ni cadran,
ni aiguilles. Leur unique fonction était de sonner des cloches
pour marquer les heures. Elles étaient peu précises et
variaient fréquemment de plus d'une heure par jour. Il fallait
les remettre à l'heure à l'aide d'un sablier ou d'un cadran
solaire. Elles sonnaient les quarts et les heures, mais elles n'affichaient
pas encore l'heure sur un cadran. Ce dernier n'apparaît qu'au
XVe siècle.
Le mathématicien hollandais Huygens et l'horloger Coster mirent
au point en 1657 la première horloge à balancier
ou horloge à pendule. Elle n'avait qu'une seule
aiguille qui faisait le tour du cadran en 24 heures. Elle avait toutefois
deux grands défauts : elle devait être remise à
l'heure très souvent et elle demeurait très encombrante.
L'aiguille des minutes n'apparaît qu'au XVIIe siècle.
Du VIe au XIIIe siècle, la liturgie romaine découpait
la journée en six parties égales appelées "horae"
dont la durée était variable selon les saisons. Elles
indiquaient les heures canoniales où l'on récitait les
diverses parties du bréviaire et se distinguaient entre les grandes
heures (laudes, matines ou vigiles, vêpres) et les petites heures
(complies, none, prime, sexte, tierce). La prime (l'aube), la tierce
(milieu de la matinée), la sexte (midi), la none (le milieu de
l'après-midi), la douzième ou vêpres (heure de l'office
du soir) et les complies (le coucher du soleil) rythmaient la journée.
Les vigiles ou matines (chants et prières à 2 heures)
et les laudes (5 heures) marquaient deux temps importants pour la communauté
monastique durant la nuit. L'Eglise organisait la vie des croyants et
marquait encore profondément le temps qui passe.
À la fin du XIVe siècle, la plupart des villes abandonnèrent
les heures solaires inégales (5). Elles adoptèrent définitivement
l'horloge mécanique et sa division mathématique de la
journée en douze parties égales. Les premières
montres furent mises au point au XVIe siècle.
Bientôt, un ressort en spirale fut associé au pendule.
Elles restèrent réservées très longtemps
aux plus riches. Depuis le XVIIIe siècle, les montres se perfectionnent
et les horlogers cherchent la plus grande précision.
L'invention de la première horloge électrique
par Alexandre Bain en 1840 permit la réalisation de la première
montre électrique en 1952 en miniaturisant les
piles. Les vibrations d'un quartz, par l'intermédiaire d'un circuit
électronique, sont à l'origine du déplacement des
aiguilles des horloges (1933) et des montres à quartz
(1968). La première montre à quartz à affichage
numérique est enfin mise au point en 1970.
Toujours à la recherche de la meilleure précision, pour
répondre aux besoins des télécommunications ou
de la navigation, les physiciens mettent au point en 1958 l'horloge
atomique fondée sur l'action des électrons d'un
atome de césium.
L'homme recherche depuis des milliers d'années à maîtriser
le temps par différents outils de mesure. Les premiers reposaient
sur le mouvement du soleil. Ils permirent l'élaboration d'instruments
de plus en plus perfectionnés où la mécanique et
la physique recherchèrent la régularité et la plus
grande précision. Mais les définitions données
au temps aujourd'hui sont trop parfaites pour la Terre dont la durée
de rotation n'est pas régulière. L'homme cherche un temps
qui lui est propre en marge de l'heure solaire qui rythme la nature.
Arrêterons-nous un jour de découper le temps pour enfin
trouver l'Eternité que les Egyptiens anciens espéraient
dans les Champs d'Ialou ?
"Ô
temps suspend ton vol, et vous heures propices,
Suspendez votre cours !"
(Lamartine)
Notes :
(1)
Équinoxe : du latin oequinoctium ; de oequus
"égal" et nox, noctis "nuit"
: chacune des deux périodes de l'année où, le soleil
passant par l'équateur, le jour a une durée égale
à celle de la nuit, d'un cercle polaire à l'autre. Équinoxe
de printemps (21 mars), équinoxe d'automne (23 septembre).
(2) Solstice : du latin solstitium ; de sol
"soleil" et de stare "s'arrêter"
: chacune des deux époques où le soleil atteint son plus
grand éloignement angulaire du plan de l'équateur ; point
de l'écliptique qui y correspond. Solstice d'hiver (21 ou 22
décembre), jour le plus court de l'année et solstice d'été
(21 ou 22 juin), jour le plus long de l'année dans l'hémisphère
Nord.
(3) Mot d'origine galloise et bretonne désignant une enceinte
de monolithes verticaux appartenant à l'âge de pierre.
(4) Le mot horloge est apparu à la fin du XIIe
siècle. Il vient du latin d'origine grecque horologium,
du latin horae "heure" et du grec logos
"discours".
(5) Les heures n'avaient pas la même durée en été
et en hiver. Cette inégalité perdurera jusqu'au XVIIIe
siècle dans certaines régions d'Europe.